Le bilan migratoire du Mexique vers les États-Unis, le plus grand mouvement de population de l'histoire, est tombé à zéro cette année. Qu'est-ce qui a stoppé le flot de nouveaux arrivants? Pour le savoir, notre correspondant s'est rendu à Calexico, à la frontière américano-mexicaine.

Il y avait une grosse boîte en carton devant la porte. Deux paires de chaussures en dépassaient. «J'ai vu la boîte bouger, explique Jessica Herrera. Il y avait deux hommes dessous. Ils ne voulaient pas que les hélicoptères les voient. Ils m'ont demandé de les cacher chez moi. Je leur ai dit que j'allais appeler la police et ils sont partis.» La maison où habite Jessica Herrera est située à 100 mètres du mur. Un mur de fer de 10 mètres de haut, surveillé en permanence par des capteurs, des drones, des caméras, des agents dans des tours, des agents dans des VUS, des agents à vélo, des chiens pisteurs.

À Calexico, ville frontalière dans le désert de la Californie, des gens tentent chaque jour de franchir le mur. Certains d'entre eux aboutissent sur le porche de la maison de Mme Herrera. Le plus récent mouvement migratoire à toucher la région et les États-Unis, toutefois, n'amène personne à se cacher. Aucun chien ne renifle ceux qui y prennent part. Aucun hélicoptère ne cherche à braquer le faisceau blanc d'un projecteur halogène sur eux. De plus en plus, les immigrants passent la frontière... pour rentrer au Mexique.

Mme Herrera, une citoyenne américaine, est elle aussi sur le point d'aller plus au sud. Et, comme ceux qui se dirigent vers le nord, sa motivation est de nature économique.

«Au Mexique, dit-elle, j'ai un emploi qui m'attend. Là bas, ils embauchent.»

Immigration zéro

La grande vague migratoire mexicaine, au coeur de la transformation récente des États-Unis, a propulsé les Latinos au rang de première minorité en importance. En 1970, 760 000 citoyens du Mexique vivaient sur le territoire américain. En 2011, ils étaient plus de 12 millions.

Depuis, la vague migratoire s'est arrêtée. Entre 2005 et 2010, environ 1,4 million d'immigrants en provenance du Mexique sont entrés (légalement et illégalement) aux États-Unis, selon une récente étude du Centre de recherche Pew Hispanic. Durant la même période, 1,4 million d'immigrants hispaniques sont retournés vivre au Mexique, pour un bilan migratoire de zéro.

En entrevue avec La Presse, Jeffrey Passel, démographe senior au Centre de recherche Pew Hispanic, à Washington, et coauteur du rapport intitulé L'immigration nette est tombée à zéro, dit avoir été surpris par ces résultats.

«Nous savions depuis des années que le nombre de personnes qui passait la frontière du Mexique vers les États-Unis était en baisse. Jusqu'à tout récemment, nous n'avions pas de données sur le nombre d'immigrants qui décidaient de retourner au Mexique. Quand nous avons vu les chiffres, nous avons été étonnés. C'est un changement radical.»

Il est difficile de déterminer avec certitude les causes de cette transformation. Selon M. Passel, plusieurs facteurs entrent en jeu.

«Plusieurs partent parce que le contexte économique aux États-Unis est difficile, avec la crise qui s'étire maintenant depuis cinq ans. Le Mexique offre aussi de plus en plus d'occasions: dans les faits, en 2010, l'économie mexicaine a crû plus rapidement que l'économie américaine.» La narco-violence du côté mexicain de la frontière dissuade également les immigrants potentiels d'entreprendre un voyage d'Amérique latine vers le nord, selon Pew Center. Ces dernières années, des milliers d'immigrants en route vers les États-Unis ont été tués et mutilés par les cartels pour envoyer un message à des bandes rivales.

Moins attrayant

La ville de Calexico est posée sur la frontière comme un oiseau sur un fil. Ses rues frappées par le soleil sont fréquentées par des Mexicains venus acheter de la nourriture ou des vêtements. Partout, de petits bureaux de change transforment les pesos en dollars. Le soir, c'est le grand retour: des milliers de résidants et de travailleurs journaliers passent les tourniquets de métal de la United States Border Inspection Station et regagnent leur maison du côté mexicain. Les tourniquets ainsi pris d'assaut forment un crescendo métallique de «clang! clang! clang!» qui remplit la nuit calme.

Jorge Alvarez rentre au Mexique avec deux sacs de provisions.

L'homme de 43 ans dit avoir passé la journée à travailler dans un champ de soja de la région de Calexico. «Je viens pour la journée. Je travaille six jours par semaine», dit-il.

M. Alvarez dit toucher 9 $ l'heure, en moyenne. «Ce n'est pas beaucoup pour les États-Unis, mais comparé aux salaires mexicains, c'est acceptable. Je peux faire vivre ma famille.» L'homme aux mains usées reprend ses sacs, passe le tourniquet métallique et rentre au Mexique.

Dans son petit bureau rempli de dossiers, James Beaver, conseiller juridique et patron du bureau U.S. Immigration&Consultation, au centre de Calexico, explique avoir conseillé un nombre incalculable d'immigrants illégaux qui voulaient s'établir sur le sol américain depuis 30 ans. Depuis quelques années, assure-t-il, l'intérêt diminue.

«Aux États-Unis, les sans-papiers vivent avec la peur de se faire découvrir et extrader et les emplois sont bien moins nombreux qu'avant. Tout compte fait, ce n'est pas très attrayant.»

Du côté mexicain de la frontière, dans la ville de Mexicali, le coût moins élevé de la vie attire de plus en plus de Mexicains qui vont travailler dans les industries de la région, ou qui viennent travailler aux États-Unis avec un permis spécial, dit-il.

«Les gens réalisent que le coût de la vie est cher aux États-Unis, explique M. Beaver. Du côté mexicain, vous pouvez louer une maison pour 200 $ par mois ou moins. Ici, c'est au moins le triple.»

Jessica Herrera n'a pas la nationalité mexicaine, mais elle s'apprête à commencer un nouveau travail au Mexique.

«Un hôtel à Mexicali m'offre 600 $ par mois pour travailler comme réceptionniste, dit-elle, debout à l'ombre d'un chêne devant la maison familiale, à Calexico. C'est un bon salaire pour le Mexique. Ils cherchent des gens qui parlent l'espagnol et l'anglais, ce n'est pas facile à trouver là-bas.»

Du côté mexicain, louer une petite maison coûte 100 $ par mois, indique-t-elle. Et la facture d'électricité oscille autour de 12 $.»

Fin de la vague

En 2005, environ un million d'immigrants clandestins ont été arrêtés par les agents frontaliers américains. En 2011, ils n'étaient plus que 286 000, un signe que moins d'immigrants tentent leur chance.

Pour Jeffrey Passel, les immigrants continueront toujours de passer la frontière du Mexique vers les États-Unis. Néanmoins, le tsunami sans précédent d'immigration clandestine de la fin des années 90 et du début des années 2000 n'est pas sur le point de se reproduire, selon lui.

«Au cours des 40 dernières années, le taux de fertilité au Mexique a chuté de façon dramatique. Donc, le bassin d'immigrants potentiel est de plus en plus petit, une tendance qui est appelée à continuer. Les années où des millions de personnes passaient la frontière sont derrière nous.»

Politiques de l'immigration

Barack Obama...

... est partisan d'une «voie vers la citoyenneté» pour les 12 à 20 millions d'immigrants clandestins actuellement aux États-Unis.

... dit avoir été limité jusqu'ici par l'inaction du Congrès.

... a promulgué en juin une partie du DREAM Act, qui permet à de jeunes immigrants clandestins de travailler aux États-Unis.

... est partisan de l'attribution de la citoyenneté américaine aux diplômés de la maîtrise et du doctorat d'une université américaine.

... a mis fin, l'an dernier, à un programme d'un milliard de dollars adopté sous Bush qui devait servir à installer des capteurs et des caméras le long de la frontière avec le Mexique.

... est contre la construction d'un mur tout le long de la frontière avec le Mexique (3200 kilomètres).

Mitt Romney...

... est contre l'idée d'une «voie vers la citoyenneté» pour les immigrants clandestins.

... est partisan de «l'autoexpulsion» des immigrants clandestins, qui décideraient de quitter le pays, car ils n'ont pas les papiers nécessaires pour travailler légalement.

... est partisan d'une réforme du programme de visas temporaires pour les travailleurs étrangers afin de permettre de «combler les besoins des employeurs américains».

... s'est prononcé contre le DREAM Act durant les primaires républicaines, mais n'a pas abordé le sujet depuis plusieurs mois.

... est partisan de l'attribution de la citoyenneté américaine aux diplômés de la maîtrise et du doctorat d'une université américaine.

... promet d'achever la construction d'un mur le long de la frontière (à peine 44 % de la frontière de 3200 kilomètres est actuellement surveillée) et d'embaucher davantage d'agents frontaliers.

L'immigration mexicaine en chiffres

9,4 millions

C'est le nombre de personnes nées au Mexique qui habitaient aux États-Unis en 2000. En 2011, on en comptait 12 millions. Il s'agit du plus grand mouvement de population d'un pays à l'autre de l'histoire.

700 000

C'est le nombre d'immigrants du Mexique qui ont traversé la frontière en l'an 2000 pour s'établir aux États-Unis. En 2010, ils n'étaient plus que 140 000 à faire de même.

1,4 million

Entre 2005 et 2010, quelque 1,4 million de Mexicains ont quitté les États-Unis pour regagner le Mexique.

1 637 000

Les agents frontaliers américains ont procédé à 1 637 000 arrestations d'immigrants clandestins en l'an 2000. En 2011, ce nombre est tombé à 286 000.

2,4

Le ralentissement de l'explosion démographique du Mexique joue aussi un rôle dans la baisse de l'arrivée des Mexicains aux États-Unis. Les femmes mexicaines auront en moyenne 2,4 enfants au cours de leur vie, contre 7,3 enfants en 1960.

Source : Centre de recherche Pew Hispanic.