Satwant Singh Kaleka était l'incarnation du rêve américain, selon son fils Amardeep. Parti de l'Inde avec 100$ en poche, il s'était enrichi en travaillant d'arrache-pied pour bâtir un petit empire de stations-service dans la région de Milwaukee, où il avait consacré une partie de sa fortune à la construction d'un temple sikh.

Sa foi dans les États-Unis aurait pu être ébranlée il y a plusieurs années quand un homme l'a sauvagement battu dans l'une de ses premières stations-service. Mais au lieu de renier son pays d'adoption, il avait réagi à cette attaque raciste en hissant devant sa maison le plus grand drapeau américain du quartier.

«Il nous disait toujours: ''Ils vont nous accepter. Ils vont nous accepter''«, s'est souvenu hier Amardeep, qui ne porte pas la barbe ou le turban, deux attributs de la religion sikhe. «Il était tellement fier d'être américain.»

Satwant Singh Kaleka est mort dimanche matin à l'âge de 65 ans en tentant de repousser avec un couteau à beurre Michael Wade Page, ex-soldat lié à des groupes racistes et néonazis. Présenté par la police comme l'auteur de la fusillade survenue dans le temple sikh d'Oak Creek, cet homme âgé de 40 ans était l'incarnation d'un cauchemar américain qui aura eu raison de Satwant Singh Kaleka et de cinq autres fidèles de son temple, quatre hommes et une femme, âgés de 39 à 84 ans.

Terrorisme intérieur

Michael Wade Page «était un néonazi frustré qui avait dirigé un groupe de musique raciste [End Apathy] exaltant le pouvoir blanc», ont indiqué Heidi Beirich et Mark Potok dans une déclaration publiée sur le site internet du Southern Poverty Law Center (SPLC), un organisme qui lutte contre le racisme et recense les groupes extrémistes haineux aux États-Unis.

Selon le SPLC, Page a également fait partie de Definite Hate, autre groupe de musique appartenant à la mouvance des skinheads racistes aux États-Unis. Dans une entrevue publiée en avril 2010 sur le site internet de Label56, maison de disques, Page a expliqué que le groupe End Apathy était né en 2005 de sa «frustration» de ne pas voir les individus et la société réaliser leur plein potentiel.

Même si Page ne tient aucun propos haineux ou violent dans cette interview, Label56 l'a fait disparaître de son site hier.

Les liens de Michael Wade Page avec des groupes néonazis ont conduit les autorités policières à traiter la fusillade du Wisconsin comme un acte de terrorisme intérieur. Teresa Carlson, responsable du FBI à Milwaukee, a cependant refusé d'évoquer hier les motivations ayant pu pousser le tireur à ouvrir le feu sur des sikhs, qui sont parfois pris pour des musulmans.

«Nous étudions ses liens avec les groupes prônant la suprématie de la race blanche», a-t-elle déclaré lors d'une conférence de presse tenue au poste de police d'Oak Creek.

«Il n'y avait aucune enquête en cours sur lui avant les faits survenus hier. Aucune agence de maintien de l'ordre n'avait de raison de penser qu'il préparait quelque chose», a-t-elle ajouté.

L'agente spéciale du FBI a par ailleurs nié une information rapportée par plusieurs médias selon laquelle Page portait sur une épaule l'inscription tatouée «9/11» rappelant les attaques terroristes du 11 septembre 2001.

Originaire du Colorado, Michael Wade Page avait servi dans l'armée américaine de 1992 à 1998. Spécialiste de la guerre psychologique, il n'avait jamais été déployé dans des opérations extérieures. Sa carrière militaire a pris fin dans des circonstances nébuleuses.

«Il a été libéré de ses obligations militaires et n'avait plus la possibilité de se réengager dans l'armée», a déclaré le chef de police d'Oak Creek, John Edwards, sans offrir plus d'explications.

Après son séjour dans l'armée, Page a pratiqué divers métiers, dont celui de camionneur en Caroline-du-Nord. Il habitait depuis juillet dans un appartement à Cuhady, à environ huit kilomètres du temple sikh.

Le 28 juillet, il avait acheté légalement un pistolet semi-automatique de calibre 9 mm. Huit jours plus tard, il s'en est servi dans le temple sikh d'Oak Creek, où le bilan aurait pu être encore plus lourd si Satwant Singh Kaleka ne s'était pas planté devant lui en brandissant un couteau à beurre.

«Des agents du FBI m'ont expliqué que l'intervention de mon père avait donné aux femmes le temps d'aller se cacher», a déclaré son fils Amardeep. «Son sacrifice ne me surprend pas. Mon père était un homme extraordinaire.»

Michael Wade Page a été abattu par un policier après avoir tiré huit ou neuf balles dans le corps d'un autre policier qui s'était porté au secours d'une de ses victimes.

Le policier devrait survivre à ses blessures.