Barack Obama a annoncé le 15 juin un sursis de deux ans à quelque 800 000 jeunes immigrés, en situation irrégulière venus aux États-Unis alors qu'ils étaient des enfants. L'annonce a eu l'effet d'une bombe dans le monde des immigrants illégaux. La Presse a rencontré quelques-uns d'entre eux à Los Angeles.

Par Nicolas Bérubé

La salle où les jeunes sans-papiers se réunissent sent le renfermé et la transpiration. Des gens suivent des cours de yoga ici. Des soirées hip-hop sont organisées ici. À travers les fenêtres sales, on voit le soleil mourir dans les rues peu sûres de l'est de Los Angeles. Des autobus passent à vive allure et quelqu'un se lève et ferme la porte pour avoir la paix.

«Bonjour, mon nom est Myisha Arellano et je suis sans papiers.»

Myisha, 19 ans, a une contusion au-dessus de l'oeil gauche. Elle a fait une chute à vélo en route vers la réunion, mais a décidé de venir quand même. Elle est ici chaque semaine.

«Bonjour, mon nom est Jonathan Perez et je suis sans papiers, je suis une grande folle et j'étudie à l'Université de la Californie-du-Sud.»

Le groupe laisse échapper un rire et Jonathan semble satisfait.

Les huit participants se nomment et donnent leur statut légal. La plupart sont entrés aux États-Unis illégalement lorsqu'ils étaient enfants. Leurs parents ont vendu leurs meubles au Mexique, mis des vêtements dans de petites valises et annoncé que la famille partait «faire un grand voyage» ou même «visiter Disneyland».

Aujourd'hui, ils sont de jeunes adultes avec une boule au ventre et une équation à résoudre. Comment étudier dans un pays où on ne peut pas travailler? Comment changer un système qui nous ignore? Nous battre contre un gouvernement qui peut nous expulser?

Vendredi dernier, le président Obama a fait une annonce qui a eu l'effet d'une bombe dans le monde des immigrants illégaux. Désormais, les jeunes de 29 ans et moins arrivés illégalement aux États-Unis avant l'âge de 16 ans qui étudient et qui n'ont pas de casier judiciaire pourront recevoir un permis de travail, renouvelable indéfiniment.

Myisha Arellano raconte qu'elle était en train de manifester devant les bureaux de la campagne d'Obama, à Los Angeles, quand son téléphone a vibré.

«C'était une amie qui m'envoyait un lien vers la déclaration d'Obama. J'étais sous le choc. Les manifestants sont devenus très silencieux. Puis ma tante et mes amis m'ont appelée, et tout le monde pleurait et était euphorique.»

Pour Mme Arellano, l'annonce du président est une victoire aigre-douce. Plus de 800 000 étudiants illégaux pourraient en profiter, dit-elle. Mais qu'arrivera-t-il à sa famille? Aux 12 millions d'autres sans-papiers qui vivent et travaillent, qui paient des impôts depuis des années aux États-Unis?

«Obama a signé un mémo, et non un ordre exécutif. Si Romney devait prendre le pouvoir, il pourrait tout annuler. Pour cette raison, bien des gens vont avoir peur de prendre contact avec le gouvernement pour se prévaloir du programme.»

Yoana Pena, aussi étudiante sans papiers, rappelle que l'administration Obama a fait expulser 400 000 immigrants «illégaux» en 2011, un record. C'est pour cette raison que les militants sans papiers manifestaient devant les bureaux d'Obama au moment de l'annonce.

«Des milliers d'étudiants qui seraient admissibles au nouveau programme ont été expulsés, ou sont en attente de renvoi. Obama fait un geste, et il est accueilli en héros... Avant de célébrer, nous attendons de voir si les expulsions vont cesser.»

Les jeunes réunis dans la salle ont des doutes, mais ils n'ont plus peur de montrer leur visage, de faire publier leur nom et de crier dans la rue. Le militantisme et les manifestations devant les bureaux d'Obama depuis des mois ont donné à leur cause un rayonnement national, et c'est pour cela que le Parti démocrate a senti le besoin d'agir, disent-ils.

Jonathan Perez, cofondateur de la Coalition des jeunes immigrants de Los Angeles, va pouvoir bénéficier du programme. Sa crainte, c'est que les États les moins favorables aux immigrants, comme la Géorgie et la Louisiane, décident de continuer à expulser les immigrants au lieu de chercher à régulariser leur situation.

«Cette semaine, un homme en Louisiane a été arrêté car il nourrissait un cheval. Il va être expulsé. Ces histoires, on en entend tous les jours. Ce qu'il faut, c'est une réforme nationale.»

Barack Obama a promis de se battre pour faire adopter le Dream Act, qui régulariserait pour de bon la situation des jeunes sans-papiers qui ont étudié au moins cinq ans ou qui ont passé au moins deux ans dans l'armée. Les républicains s'opposent au projet de loi.

M. Perez n'abandonnera pas son mégaphone de sitôt.

«Si on en est à ce point aujourd'hui, c'est parce que nous nous sommes battus. La partie n'est pas terminée.»

Coup de génie ou erreur de stratégie?

Par Richard Hétu, collaboration spéciale

Génial! Brillant! Astucieux! Dans les heures et les jours qui ont suivi l'annonce de la nouvelle politique de Barack Obama en matière d'immigration, plusieurs analystes et commentateurs politiques américains ont prononcé ou écrit ces mots en les ponctuant d'exclamations. À leurs yeux, le président venait sans contredit de réussir un coup de maître sur le plan électoral.

Wendy Schiller, politologue à l'Université Brown, dans le Rhode Island, résume ainsi leur opinion, qui est également la sienne: «Cette décision aura un impact majeur sur la base progressiste du Parti démocrate, qui attendait depuis longtemps un geste audacieux de la part d'Obama dans ce dossier.

Elle rappellera à ses membres pourquoi ils aiment tant le président.»

Selon Schiller, la nouvelle politique de Barack Obama l'aidera également à mobiliser l'électorat hispanique, qui pourrait jouer un rôle décisif dans certains États-clés, dont le Nevada, le Colorado et la Floride. Cette décision aurait en outre le mérite non négligeable de déstabiliser le probable adversaire républicain du président, Mitt Romney.

«Le problème de Romney est qu'il perdra sa base la plus active s'il se montre trop progressif sur l'immigration», dit Wendy Schiller lors d'une entrevue téléphonique.

En même temps, l'ancien gouverneur du Massachusetts ne peut pas se permettre de s'aliéner davantage l'électorat hispanique, selon la politologue.

«Je ne pense pas qu'il puisse gagner s'il obtient seulement 25 % du vote hispanique», dit-elle.

Mais se peut-il que Schiller et compagnie aient tout faux et que Barack Obama finisse par tomber dans son propre piège? Sean Trende, analyste au site Real Clear Politics (RCP) et auteur d'un livre sur l'électorat américain intitulé The Lost Majority, répond à cette question par l'affirmative.

Car il croit que la décision de Barack Obama lui nuira dans plusieurs États-clés - l'Ohio, le Michigan et la Pennsylvanie, entre autres -, dont le poids électoral est beaucoup plus important que celui du Nevada et du Colorado.

«Il y a très peu d'électeurs hispaniques dans ces États, mais il y a beaucoup d'électeurs blancs de la classe ouvrière pour qui l'immigration illégale est une question brûlante, dit Trende à La Presse. Même si ce n'est pas complètement vrai, ces électeurs ont l'impression d'être en compétition avec les immigrés illégaux sur le plan de l'emploi.»

L'analyste de RCP cite trois autres États-clés - le Wisconsin, le Minnesota et l'Iowa - où Barack Obama pourrait perdre des votes précieux à cause de sa décision.

Sean Trende doute d'autre part que la nouvelle politique du président change la donne en Floride, État-clé où l'électorat hispanique est composé en bonne partie de Cubains et de Portoricains d'origine.

«Les Cubains-Américains votent pour le Parti républicain en raison de son opposition anticastriste historique et les Portoricains ont la citoyenneté américaine. La question de l'immigration illégale n'a donc pas pour eux la même importance que pour les immigrés d'Amérique latine ou d'Amérique centrale», explique l'analyste de RCP.

Il faudra évidemment attendre l'élection présidentielle du 6 novembre pour savoir qui, de Wendy Schiller ou de Sean Trende, a raison.

Romney change de refrain

On efface tout et on recommence: c'est un peu l'exercice périlleux auquel s'est prêté Mitt Romney, jeudi, devant les membres d'une association d'élus hispaniques réunis en Floride.

Après avoir tenu le discours le plus dur qui soit sur l'immigration illégale lors des primaires républicaines, l'ancien gouverneur du Massachusetts a adopté un ton beaucoup plus conciliant sur ce dossier, tout en restant vague sur la «solution à long terme» qu'il promet.

«Certains ont demandé si je laisserais en l'état le décret du président. La réponse est que je mettrais en oeuvre ma propre solution à long terme qui remplacera et se substituera à la mesure provisoire du président», a dit l'ancien gouverneur du Massachusetts.

En s'abstenant de dénoncer la mesure de Barack Obama, Mitt Romney a implicitement reconnu sa popularité, non seulement auprès des hispanophones, mais également des Américains en général.

Selon un sondage publié par Bloomberg mardi, 64 % des Américains approuvent la nouvelle politique de l'administration Obama, contre 30 % qui la désapprouvent.

Une majorité de républicains (56 %) sont cependant opposés à la mesure, d'où la position délicate dans laquelle se retrouve aujourd'hui Mitt Romney.

L'évolution de Mitt Romney sur l'immigration

Septembre 2011

«Cela ne devrait pas être permis. Cela n'a aucun sens.»

- Mitt Romney, critiquant la politique du gouverneur du Texas Rick Perry de contribuer au financement des études supérieures des enfants d'immigrés illégaux.

Janvier 2012

«Si les gens ne trouvent pas d'emploi ici, ils s'autoexpulseront vers un endroit où ils peuvent trouver du travail.»

- Mitt Romney, préconisant l'autoexpulsion pour régler les problèmes de l'immigration illégale aux États-Unis.

Juin 2012

«La réforme de l'immigration n'est pas seulement un impératif moral, c'est aussi une nécessité économique.»

- Mitt Romney, adoucissant le ton sur l'immigration lors d'un discours devant une association d'élus hispaniques en Floride.

Vote de l'électorat hispanique

En 2008

Nombre d'électeurs hispaniques ayant pris part à l'élection :

9,7 millions

Source : William. C. Velasquez Institute

Répartition du vote hispanique :

Obama : 67 %

McCain : 31 %

Source : CNN

En 2012

Prédiction du nombre d'électeurs qui participeront à l'élection :

12,2 millions

Source: National Association of Latino Elected and Appointed Officials

Intentions de vote de l'électorat hispanique (printemps 2012) :

Obama : 73 %

Romney : 26 %

Source : Sondage ABC News/Washington Post