Un avocat a plaidé au nom de la liberté de la presse mercredi devant un tribunal militaire à Guantanamo --un fait sans précédent devant cette justice d'exception-- pour que le témoignage d'un accusé saoudien sur les tortures qu'il dit avoir subies soit public.

Abd al-Rahim al-Nachiri, accusé d'être le cerveau de l'attentat contre le navire américain USS Cole qui avait fait 17 morts en 2000 au Yémen, est apparu mercredi, vêtu d'une des combinaisons blanches portées par les prisonniers obéissants de Guantanamo, pour une audience préliminaire retransmise sur la base militaire de Fort Meade, au Maryland.

Egalement accusé d'une tentative d'attentat quelques mois plus tôt contre un destroyer américain, l'USS Sullivans et pour l'attentat contre le pétrolier français MV Limburg, qui avait fait un mort en 2002, il encourt la peine de mort.

Ses avocats ont demandé qu'il soit entendu sur ses conditions de détention pendant quatre ans dans des prisons secrètes de la CIA, où il a subi des séances de simulation de noyade et d'autres techniques d'interrogatoire «renforcées», avant d'être transféré en 2006 sur la base américaine de Guantanamo à Cuba.

Dix médias américains, dont le New York Times, le Washington Post, la radio publique NPR ou Fox News, ont réclamé que son témoignage soit public, au même titre que le reste des débats.

David Schulz, un avocat new-yorkais les représentant, a commencé par remercier le tribunal de lui permettre d'intervenir, «reconnaissance» selon lui «de l'enjeu important que représente l'ouverture au public» de la procédure.

L'intervention d'un avocat extérieur aux parties est une «première» devant un tribunal militaire d'exception, a indiqué à l'AFP un expert militaire.

Me Schulz a argué du premier amendement de la Constitution américaine sur la liberté d'expression et la liberté de la presse.

Il a souligné que les mauvais traitements subis par M. Nachiri étaient déjà de notoriété publique et avaient fait l'objet d'un rapport de la CIA. Tenir à huis clos des discussions «sur des informations que le monde entier connaît déjà ou peut trouver en deux secondes sur internet» revient à «se moquer» de la justice militaire, a dit Me Schulz.

Il a ajouté que les journalistes suivaient déjà les audiences de Guantanamo derrière une paroi vitrée avec un différé de 40 secondes permettant à la censure de brouiller les échanges classés secrets défense. «Vous avez toute la technologie» pour masquer, si nécessaire, d'éventuels éléments classés secrets défense, a-t-il dit.

Pour interdire la publicité de ce témoignage, il faudra démontrer qu'il représente une «menace potentielle à la sécurité nationale», a-t-il dit.

M. Nachiri était susceptible de témoigner jeudi sur ses mauvais traitements dans le cadre d'une requête de ses avocats demandant que leur client ne soit plus menotté pendant leurs visites.

Mais le juge James Pohl en a décidé autrement mercredi. Il a donné raison à la défense et autorisé que l'accusé ne soit plus entravé, de sorte que l'accusé n'aura plus à témoigner sur des faits potentiellement embarrassants. Le juge n'a donc pas rendu de décision sur la requête des médias américains mais il pourra le faire plus tard lorsque M. Nachiri sera amené à témoigner lors d'une audience ultérieure ou à l'occasion du procès qui n'est pas attendu avant la fin de l'année.

Cette même question pourrait être soulevée par les cinq accusés des attentats du 11 septembre 2001, qui seront mis en accusation le 5 mai à Guantanamo et encourent également la peine capitale.

Le cerveau autoproclamé du 11-Septembre Khaled Cheikh Mohammed en particulier affirme lui aussi avoir subi des mauvais traitements, dont des simulations de noyade, lors de sa détention dans une prison secrète de la CIA et ses avocats invoqueront sans aucun doute ces abus pour lui épargner la peine de mort.