La Cour suprême américaine s'est penchée mardi sur la responsabilité des grandes entreprises face aux atteintes aux droits de l'homme commises hors des États-Unis, à l'occasion d'un litige entre le géant du pétrole Shell et des Nigérians victimes de torture.

Les neuf juges de la plus haute juridiction des États-Unis, qui paraissaient divisés sur la question, rendront avant juin leur décision sur la question de savoir s'il faut tenir ou non les grandes entreprises responsables aux Etats-Unis d'atteintes aux droits de l'homme commises à l'étranger, en vertu de la loi américaine Alien Tort Status (ATS).

Douze plaignants --des proches de Nigérians exécutés par l'ancien gouvernement militaire de Lagos entre 1992 et 1995-- accusent Shell de «complicité dans des atteintes aux droits de l'homme commises contre eux en pays Ogoni, dans le delta du Niger», entre 1992 et 1995.

Un recours similaire a été déposé devant la haute cour par 19 Nigérians contre le géant du pétrole américain Chevron.

L'argumentation, très complexe, développée lors d'une heure d'audience, a tourné autour de la façon d'interpréter cette loi ATS, vieille de deux siècles, et les différentes décisions qui ont suivi les plaintes des victimes, prises par diverses juridictions.

Selon l'avocat des victimes, Paul Hoffman, le droit international sur les atteintes aux droits de l'homme, se définit par des «actes» et non par le fait que celui qui les commet est un «être humain ou une entreprise».

Edwin Kneedler, qui représentait le gouvernement, soutenait la cause des plaignants en estimant que la loi «précise qui peut être le plaignant, mais pas qui est l'accusé».

L'avocate de Shell, Kathleen Sullivan, a estimé au contraire que les traités internationaux sur les atteintes aux droits de l'homme n'évoquaient qu'une «responsabilité individuelle». Elle a ainsi cité la Cour Pénale Internationale qui ne s'attaque pas aux entreprises ou, dans le passé, le procès contre l'industriel nazi Alfred Krupp jugé à Nuremberg «en tant que personne».

L'un des juges, Samuel Alito, s'est néanmoins demandé «ce qu'un cas pareil avait à voir avec la justice américaine?»

Son collègue Anthony Kennedy a cité un argumentaire de Chevron selon lequel «aucun pays n'autorise des poursuites sur des faits commis hors de chez lui et sans lien avec lui».

La juge Ruth Ginsburg a néanmoins estimé que «dans la plupart des pays, les entreprises sont responsables des actes de leurs agents».

Shell, qui clame son innocence, a accepté en 2009 de payer 15,5 millions de dollars pour éviter un embarrassant procès intenté par des proches du militant écologiste nigérian Ken Saro-Wiwa, pendu en 1995. Le fondateur du Mouvement pour la survie du peuple Ogoni (Mosop), partisan de la non-violence, avait réussi à interrompre les activités de Shell dans le Delta du Niger, l'accusant de polluer l'environnement.

La Cour a dans la foulée entendu les arguments dans une affaire similaire, impliquant un Américain mort des suites d'actes de torture en 1995 dans une prison à Jéricho, dans les Territoires palestiniens. Elle devra déterminer si une autre loi américaine, la Loi de protection des victimes de la torture (TVPA) s'applique à l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), qui est poursuivie dans ce dossier.