Les amis de Viktor Bout utilisaient des noms secrets pour le désigner dans des messages électroniques qui, croyaient-ils, étaient à l'abri des regards indiscrets. On l'appelait souvent «Boris», ou encore «Primus», ou encore tout simplement «l'homme».

Quand ils discutaient d'armes, a déclaré un de ces amis devant un tribunal américain la semaine dernière, Bout lui-même évoquait timidement de la «machinerie agricole».

Pendant près de 20 ans, alors que Bout se faisait connaître comme le «marchand de la mort» dans l'univers des trafiquants d'armes, le monde nébuleux qu'il habitait est demeuré opaque aux étrangers. Les enquêteurs de Nations unies épiaient ses avions et les analystes du département américain du Trésor analysaient ses comptes bancaires, mais seulement ceux qui collaboraient étroitement avec lui connaissaient les rouages de ses activités.

Bout est actuellement accusé devant la justice américaine et pourrait écoper d'une peine de prison à vie. Le jury pourrait entreprendre ses délibérations dès la semaine prochaine. Mais les détails de sa vie privée et professionnelle sont déjà étalés au grand jour, et les experts du trafic d'armes affirment que ces révélations leur donnent une nouvelle compréhension de la manière dont les armes sont achetées et vendues à travers le monde.

«Nous obtenons des clichés utiles de la manière dont il fonctionnait, a dit Alex Vines, le directeur de la recherche pour l'organisation britannique Chatham House. Certainement, les zones grises de sa collaboration avec le gouvernement russe et l'industrie des armes sont de plus en plus claires.»

Un des témoins les plus importants, le Sud-Africain Andrew Smulian, a passé presque deux jours à la barre des témoins la semaine dernière, gardé en tout temps par des agents fédéraux armés. L'homme de 70 ans a admis collaborer avec les autorités dans l'espoir d'obtenir une réduction de sa peine d'emprisonnement de 25 ans.

Tout comme Bout, l'ancien pilote avait été accusé de complot dans le but de tuer des citoyens et des dirigeants américains, et de complot pour fournir des armes à des terroristes.

Smulian a expliqué avoir commencé à collaborer avec Bout vers la fin des années 2000. Selon son témoignage, Smulian s'est rendu à Moscou en janvier 2008 et c'est à ce moment que Bout aurait démontré un grand intérêt envers une éventuelle transaction avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), un groupe terroriste qui finance ses activités avec de la cocaïne. En réalité, les deux membres présumés des FARC étaient des agents américains.

Les dirigeants américains soupçonnent Bout depuis longtemps d'entretenir des liens avec l'armée russe, et le témoignage de Smulian a semblé donner une nouvelle crédibilité à leurs soupçons.

«Ça explique pourquoi les Russes ont toujours été sur la défensive par rapport à Bout», a dit M. Vines.

Avec un seul coup de fil, selon M. Smulian, Bout a mis la main sur 100 missiles sol-air Igla. Il a ensuite entrepris de discuter l'obtention d'hélicoptères de combat, de fusils de tireurs d'élite, de grenades et de munitions. Smulian prétend également que Bout a affirmé que la Russie était en mesure de fournir aux FARC des hélicoptères supérieurs aux appareils américains.

Plusieurs des messages concernant Bout ont été trouvés dans l'ordinateur portable de Smulian. Dans l'ordinateur de Bout, les enquêteurs américains auraient trouvé la preuve qu'il a mis sur pied des centaines de sociétés fictives à travers le monde pour gérer ses affaires, du Pacifique-Sud jusqu'au Montana.

«Dans tout ce qu'il faisait, il était au sommet, a dit l'ancien agent fédéral américain Thomas Pasquarello. Il était très minutieux. Il dirigerait une société «Fortune 500» s'il faisait autre chose.»