Les Américains ont suivi avec étonnement, comme le reste du monde, les émeutes qui ont secoué Londres et plusieurs villes britanniques au cours des derniers jours, où des jeunes déshérités et en colère ont ventilé leur rage dans les rues.

De telles violences pourraient-elles se produire aux États-Unis, où 25 pour cent des jeunes n'ont pas d'emploi et où un retour à la récession menace d'aggraver la situation économique déjà mauvaise?

La morosité actuelle aux États-Unis s'accompagne de tous les autres éléments qui semblent avoir joué un rôle au Royaume-Uni: des tensions raciales, un taux de chômage élevé, l'accroissement des inégalités de revenu entre les riches et les pauvres, des perspectives économiques pessimistes et un sentiment de désespoir parmi les jeunes.

Des statistiques récentes montrent que 39,2 pour cent des jeunes Noirs et 36,2 des jeunes Hispaniques n'ont pas d'emploi aux États-Unis. Dans la ville de New York, les jeunes Noirs et Hispaniques sont deux fois plus susceptibles que les autres d'abandonner leurs études. Ils ont un taux de pauvreté de 50 pour cent supérieur à celui des autres groupes ethniques, et un taux de chômage 60 pour cent plus élevé que celui des autres jeunes. Ils représentent plus de 90 pour cent des jeunes victimes ou auteurs de meurtres.

Même si les plus graves émeutes survenues aux États-Unis étaient liées aux tensions raciales et aux droits civiques, certains observateurs pensent que l'ajout des difficultés économiques dans l'équation pourrait pousser les jeunes Américains à se révolter eux aussi.

«Il existe une corrélation directe entre les actes de violence ici à Chicago, qui sont plus élevés que d'habitude, et le manque d'investissements dans les quartiers déshérités et dans les jeunes de ces quartiers», a estimé Phillip Jackson, fondateur de Million Father March, un mouvement qui vise à encourager l'implication des hommes dans l'éducation des jeunes Noirs.

«À Chicago et dans les autres grandes villes américaines, les actes violents sont uniques et isolés. La violence à Londres est devenue collective et ciblée, mais les causes sous-jacentes sont les mêmes, et aussitôt que les jeunes Américains vont le comprendre, nous aurons des problèmes», a ajouté M. Jackson.

Mais d'autres font valoir que les États-Unis ont évolué dans une direction bien différente du Royaume-Uni. Les divisions entre classes sociales n'y sont pas aussi prononcées, et les classes pauvres américaines ne regardent pas les riches avec autant de mépris que leurs vis-à-vis britanniques.

«Aux États-Unis, si vous êtes né dans une classe socioéconomique inférieure, il existe toujours la perception qu'il est possible de transcender votre condition, d'atteindre la richesse», explique Sean Snaith, directeur de l'Institut pour la compétitivité économique de l'université Central Florida.

«Les classes supérieures, les célébrités, les riches... Pour l'Américain moyen, ces gens représentent l'équivalent de ce qu'est la monarchie pour les Britanniques. Les Américains considèrent que ce sont des gens qui doivent être admirés et tenus en haute estime. C'est donc un bon anesthésiant», ajoute M. Snaith.

Les jeunes Américains pourraient hésiter à descendre dans les rues pour faire du grabuge, compte tenu de la tendance des autorités américaines à répliquer à la force par la force.

«Notre police est beaucoup plus disposée à recourir à la force brutale, dit M. Snaith. S'il y a des violences, ils vont répondre par la violence.»

Et il y a un autre facteur qui pourrait pousser les jeunes Américains à y penser deux fois avant de se révolter: le président Barack Obama.

«Les jeunes tendent à être plus démocrates que républicains. Ils ne sont peut-être pas contents de leur président, mais ils ne considèrent pas que la situation économique actuelle est de sa faute», estime M. Snaith. Ils sont donc probablement moins susceptibles de se révolter contre la situation. Barack Obama est toujours leur homme, et cela contribue probablement à apaiser une partie de leur colère.»

Mais Sean Verano, un expert de la justice criminelle à l'université Roger Williams, dans le Rhode Island, pense que les jeunes Américains pourraient se soulever dans les prochains mois, particulièrement dans la foulée des importantes coupes budgétaires qui résulteront de l'accord sur le plafond de la dette conclu à Washington.

«Les effets des mesures d'austérité ne se sont pas encore fait sentir, mais si nous commençons à voir des coupes importantes dans les programmes d'aide sociale, je crois que nous pourrons regarder le Royaume-Uni et l'Europe comme un signe de ce qui pourrait se produire ici», a dit M. Verano.

Pour Phillip Jackson, la solution est que les gouvernements de tous les niveaux commencent à investir dans les jeunes et les quartiers défavorisés, et qu'ils s'assurent que les jeunes poursuivent leurs études et obtiennent de l'aide s'ils en ont besoin.

Mais malheureusement, un tel investissement est improbable dans le contexte économique actuel. C'est pourtant en période de difficultés économiques que ces programmes sont les plus nécessaires.

«Personne, aucun ordre de gouvernement, ne s'attarde à ces problèmes. Les rares programmes sociaux que nous avons sont en train d'être coupés», a dit M. Jackson.

«Je suis absolument convaincu que ce que nous avons vu à Londres pourrait aussi se produire ici. Si vous voulez éviter cela, si vous voulez que les États-Unis soient un grand pays, vous investissez dans la jeunesse. Vous n'allez pas bombarder la Libye.»