Le Vatican va pour la première fois devoir produire des documents internes devant la justice américaine, qui cherche à examiner sa qualité «d'employeur» dans l'affaire d'un prêtre accusé de pédophilie dans l'Oregon.

Un tribunal civil américain a pour la première fois décidé de citer le Saint-Siège comme témoin dans cette affaire, qui remonte à 1965.

«C'est une décision historique et monumentale», déclare Jeff Anderson, avocat de la personne à l'origine de l'affaire. Cette dernière, qui conserve l'anonymat, affirme avoir subi des agressions sexuelles de la part d'Andrew Ronan, un prêtre qui avait déjà été confondu pour pédophilie en Irlande puis à Chicago.

«Cela change vraiment le paysage juridique», explique à l'AFP Me Anderson. «Une brèche a été ouverte : le Vatican va pouvoir être tenu responsable et va devoir rendre des comptes comme jamais auparavant».

La victime accuse le Vatican de ne pas avoir défroqué le prêtre ou au moins de ne pas l'avoir sanctionné et écarté dès les premières agressions. Un premier juge chargé de la plainte avait estimé que le Saint-Siège pouvait être poursuivi comme employeur dans le transfert de ce prêtre, pourtant décidé au niveau des évêchés. Le Vatican avait fait alors appel auprès de la Cour suprême.

En juin dernier, la plus haute juridiction américaine avait donné raison à ce juge en ne se prononçant pas sur la reconnaissance de l'immunité diplomatique du Vatican.

En citant aujourd'hui le Vatican comme témoin avant la tenue éventuelle d'un procès, un juge américain s'engage pour la première fois dans cette brêche ouverte par la Cour suprême.

Pour ce faire, le juge de l'Oregon, Michael Mosman, a demandé au Saint-Siège de produire d'ici au 20 juin un certain nombre d'informations sur les règles internes à l'Église relatives à la gestion des prêtres, leur nomination, leur transfert, leur responsabilité ou encore leur excommunication en cas de plaintes pour agressions sexuelles.

Déboutée de son appel par la Cour Suprême, l'Église compte bien continuer à ferrailler sur la question. Ainsi, selon elle, si le pape exerce une hiérarchie spirituelle sur les prêtres à travers le monde, il ne peut en aucun cas être considéré comme un employeur, toute charge matérielle revenant aux diocèses.

Pour Jeffrey Lena, l'avocat américain du Vatican, la partie est loin d'être perdue. L'avocat entend résister à certaines demandes de la justice.

«La question centrale de cette affaire, la seule qu'il faille retenir, est de savoir si oui ou non l'Église peut être considérée comme l'employeur de cet homme à l'époque des faits. Et à notre avis, non, ce n'est pas le cas», a-t-il ajouté.

La loi de l'État d'Oregon possède une interprétation étendue de la relation d'employeur à employé. Néanmoins, il apparaît peu probable que les plaignants obtiennent gain de cause.

«S'ils parviennent à démontrer qu'un tel lien existait entre ce prêtre et le Saint-Siège, ce serait dévastateur pour le Vatican qui a beaucoup plus de ressources qu'un simple diocèse», estime Charles Zech, directeur du centre de recherche sur l'encadrement de l'Église à l'université catholique de Villanova en Pennsylvanie.

Aux États-Unis, huit évêchés, dont celui de l'Oregon, ont été ruinés après des plaintes contre des agressions sexuelles de prêtres.

Qu'il gagne ou non la partie, le plaignant dans cette affaire aura créé un précédent.

«Du point de vue du Vatican, l'affaire est très problématique», estime Charles Zech. Le Saint-Siège «n'a jamais aimé ouvrir ses dossiers à quiconque. Et les ouvrir même un tout petit peu, c'est tout un problème».