Bloqués à Guantanamo à cause d'une décision du Congrès, les 174 détenus de la célèbre base navale américaine située à Cuba se tournent désormais vers la Cour suprême pour les tirer de ce mauvais pas.

Alors que la Chambre des représentants a voté mercredi l'interdiction de tout transfèrement de détenu de Guantanamo vers le sol américain, même pour y organiser leur procès, tous sont, selon leurs avocats, inquiets de ne jamais quitter Cuba.

Pas moins de huit recours sont actuellement en instance devant la plus haute juridiction des États-Unis, représentant la quasi-totalité des détenus et reflétant la variété de leurs situations. La Cour devrait dire courant 2011 si elle accepte d'examiner un ou plusieurs de ces recours.

Barack Obama avait promis de fermer la prison en janvier 2010 mais 174 hommes y sont toujours emprisonnés aujourd'hui. Des dizaines ont pourtant été déclarés libérables par l'administration du président démocrate, d'autres devaient être jugés et une cinquantaine enfin gardés indéfiniment en prison faute d'éléments pour organiser un procès pénal.

Jusqu'alors, la Cour suprême a toujours donné raison aux détenus et opposé trois revers cinglants à George W. Bush. Dernière en date, sa décision en juin 2008 de reconnaître aux détenus le droit constitutionnel de contester leur détention devant les tribunaux fédéraux, au nom du principe fondateur du droit anglo-saxon, l'habeas corpus.

«Dans le cadre du principe inscrit dans la Constitution de la séparation des pouvoirs, le pouvoir judiciaire est rarement aussi indispensable et légitime que lorsqu'il étudie le bien-fondé de l'exécutif à emprisonner quelqu'un», écrivait la Cour dans une décision serrée à cinq contre quatre.

Cependant, «depuis deux ans et demi, les administrations Bush puis Obama, avec des approches analogues, n'ont jamais cessé d'essayer de maintenir le pouvoir de détention entre les mains de l'exécutif» plutôt qu'entre celles de juges, assure Lyle Denniston, spécialiste de la Cour suprême, sur le site Scotusblog.

De fait, les juges fédéraux de Washington ont examiné 57 dossiers et ont déclaré dans les deux tiers des cas la détention injustifiée.

Mais, saisie par l'administration, la cour d'appel a systématiquement cassé ces décisions - 14 jusqu'ici. Elle a de surcroît interdit toute libération aux États-Unis, laissant ceux-ci dépendant du bon vouloir de leurs alliés pour accueillir des détenus innocentés ne pouvant être rapatriés dans leur pays. Enfin, les juges d'appel ont donné le droit aux autorités d'en renvoyer dans leur pays d'origine contre leur gré.

Ce sont ces décisions imbriquées dans les mesures adoptées par le Congrès que les détenus demandent à la Cour suprême d'infléchir. «Ce recours concerne le pouvoir judiciaire», écrivent cinq d'entre eux en introduction de leur argumentaire, encourageant la Haute Cour à confirmer le pouvoir des juges à outrepasser les choix politiques au nom de l'État de droit.

Mais dans ce combat, les détenus de Guantanamo partent déjà avec un handicap. Depuis 2008, un de leur plus ardent défenseur, John Paul Stevens, a quitté la Cour. Et sa remplaçante, la progressiste Elena Kagan qui était auparavant l'avocate de l'administration Obama devant la Haute Cour, devra se récuser car elle a participé de trop près aux réflexions les concernant.

«Il est certain qu'un vote manquera aux détenus», explique Lyle Denniston. Si la Cour prend une décision à quatre voix contre quatre, c'est celle de la cour d'appel qui prévaut, les renvoyant à la case départ.