Le premier procès d'un détenu de Guantanamo devant un tribunal américain de droit commun, qui doit s'ouvrir mercredi à New York, s'annonce comme un test crucial de la capacité de l'administration Obama à rectifier les excès de l'ère Bush en matière de lutte contre le terrorisme.

Initialement prévu pour lundi, le procès a été reporté à mercredi à la demande du procureur fédéral, selon des documents judiciaires publiés sur le site du tribunal du district sud de Manhattan devant lequel doit comparaître Ahmed Khalfan Ghailani.

Celui-ci, un Tanzanien de 36 ans, est accusé d'avoir participé aux attentats de 1998 contre les ambassades américaines de Nairobi et de Dar es Salaam qui ont fait 224 morts. Il doit répondre de plus de 200 chefs d'accusation et risque la prison à vie.

Arrêté au Pakistan en 2004, M. Ghailani est le seul détenu de Guantanamo à ce jour à avoir été renvoyé devant un tribunal fédéral et transféré sur le sol américain. Cinq autres, toujours emprisonnés sur la base navale américaine à Cuba, sont renvoyés devant des tribunaux militaires d'exception.

«Ahmed Ghailani est un des détenus de Guantanamo chanceux car il va bénéficier d'un vrai procès devant un vrai juge», résume pour l'AFP Jonathan Turley, professeur à l'université George Washington.

Alors que le mystère et la polémique demeurent sur le lieu où seront traduits cinq autres détenus de Guantanamo soupçonnés d'avoir organisé les attentats du 11-Septembre, il relève que «l'administration Obama semble vouloir utiliser le procès Ghailani comme un galop d'essai».

De fait, cet homme au visage enfantin, calme et souriant, a tout du candidat-test idéal.

Accusé notamment d'avoir acheté le camion et les explosifs qui ont servi à l'attentat contre l'ambassade de Dar es Salaam, puis d'avoir rejoint Ben Laden en Afghanistan, il a, comme les accusés du 11-Septembre, subi des mauvais traitements pendant sa détention dans une prison secrète de la CIA.

Comme eux, il a été incarcéré pendant des années sans procès, en violation de tous les principes du droit américain.

La «clé du procès» sera, selon M. Turley, la manière dont le juge chargé des débats, Lewis Kaplan, va décider quels éléments, déclarations ou pièces à conviction sont admissibles.

Mais aussi s'il va tenir compte du délai inhabituel, «des témoins qui se font rares, des preuves défraîchies et des souvenirs effacés» douze ans après les faits.

«Quoi qu'Ahmed Ghailani ait pu subir, l'administration n'aurait pas été jusqu'au procès si elle ne pouvait pas présenter des éléments admissibles par la justice fédérale», estime Benjamin Wittes, de la Brookings Institution, un centre de réflexion de Washington.

Jusqu'ici en effet, le juge Kaplan a rejeté la requête des avocats du Tanzanien demandant l'abandon des charges au motif que leur client a été emprisonné sans procès pendant cinq ans sans bénéficier des protections conformes au droit américain.

M. Wittes estime cependant que «les enjeux du procès Ghailani sont presque entièrement négatifs» pour l'administration Obama.

Même si le ministère public obtient un verdict de culpabilité, «je ne pense pas que quiconque en conclura que New York est le meilleur endroit pour juger des cas de grande importance», analyse le spécialiste. «Ceux qui sont inquiets de voir Khaled Cheikh Mohammed (le cerveau du 11-Septembre, ndlr) venir à New York seront toujours inquiets», ajoute-t-il.

En revanche, si les choses ne vont pas dans le sens voulu par l'administration, «les conséquences négatives potentielles sont immenses». Les partisans de procès devant des tribunaux militaires d'exception en sortiront gagnants et «cela rendra très difficile d'organiser un autre procès devant un tribunal fédéral», juge M. Wittes.

Présenté comme un détenu coopératif, Ahmed Ghailani a été déclaré mentalement sain et apte à être jugé, malgré des traumatismes subis, notamment pendant sa détention sous autorité américaine. Le procès devrait durer environ quatre mois.