L'expression n'est pas plus élégante ou empathique en anglais qu'en français: anchor babies, ou bébés-ancre. Elle fait référence aux enfants nés aux États-Unis d'immigrants clandestins.

Ces jours-ci, ces termes méprisants traduisent aussi une réalité ou un mythe qui pousse des politiciens américains, et non les moindres, à réclamer un examen ou une modification du 14e amendement de la Constitution, qui garantit la citoyenneté américaine à toute personne née aux États-Unis.

Il y a un peu plus d'une semaine, le sénateur républicain de Caroline-du-Sud, Lindsey Graham, a résumé ainsi la problématique: «Pour avoir un enfant en Amérique, ils (les immigrants clandestins) traversent la frontière, vont à la salle d'urgence, mettent au monde un enfant, et cet enfant est automatiquement un citoyen américain. Cela ne devrait pas être le cas.»

Le problème est d'autant plus alarmant, selon les critiques du 14e amendement, que ces nouveaux Américains encore aux couches facilitent la vie à leurs parents sans papiers qui veulent régulariser leur situation aux États-Unis. D'où l'expression «bébés-ancre».

La sortie du sénateur Graham est étonnante à plusieurs égards. Considéré comme un modéré, il a déjà été à l'avant-garde du Parti républicain en matière d'immigration, ayant notamment participé avec des collègues démocrates à la préparation d'une ambitieuse réforme sur ce sujet. Or, le voilà qui épouse aujourd'hui une rhétorique jugée trompeuse ou mensongère par ses anciens partenaires.

Sa nouvelle croisade en faveur de la modification du 14e amendement est également de nature à surprendre ceux qui en connaissent l'histoire. Il s'agit en fait d'une des «réalisations politiques» dont les républicains peuvent le plus s'enorgueillir, si l'on se fie au site internet du comité national de leur parti.

«À la Chambre des représentants, tous les républicains votèrent en faveur de l'amendement, et tous les démocrates s'y opposèrent», rappelle le site du Grand Old Party en soulignant que l'objectif original du 14e amendement «était de défendre les Afro-Américains contre leurs oppresseurs démocrates dans le sud des États-Unis après la Guerre civile».

Il est donc pour le moins ironique que ce soit aujourd'hui des républicains qui proposent d'examiner ou de réviser un amendement qui a garanti la citoyenneté américaine aux esclaves émancipés et à leurs descendants. En ce qui a trait au sénateur Graham, il a évoqué la possibilité d'introduire un amendement constitutionnel visant à refuser la citoyenneté automatique aux enfants d'immigrés qui «viennent ici pour donner naissance à un enfant».

Sans aller aussi loin, d'autres parlementaires républicains se sont dits favorables à la tenue d'auditions au Congrès sur le 14e amendement, histoire d'examiner ses conséquences. Figurent parmi ce groupe le chef de la minorité républicaine au Sénat, Mitch McConnell, et ses collègues Jeff Sessions, John McCain et Jon Kyl.

Les sénateurs McCain et Kyl ont en commun de représenter l'Arizona, État qui a adopté en avril dernier la loi la plus répressive sur l'immigration aux États-Unis. Leurs critiques les soupçonnent de ne pas vraiment avoir l'intention d'amender la Constitution, un processus laborieux et risqué, mais de vouloir plutôt exploiter, à l'approche des élections de mi-mandat, la colère d'une partie de la population américaine face au problème de l'immigration illégale.

Concept en doute

Ces critiques mettent en doute, d'autre part, le concept même de «bébés-ancre». Selon la loi américaine, tout enfant né aux États-Unis de parents clandestins doit attendre d'avoir 21 ans avant de pouvoir les parrainer. Et la présence d'un enfant citoyen au sein d'une famille dont les parents sont clandestins ne met pas celle-ci à l'abri d'une expulsion. En fait, de 1997 à 2007, les États-Unis ont expulsé 88 000 immigrants qui étaient des résidents permanents légaux et des parents d'enfants ayant la citoyenneté américaine, la plupart à la suite de délits mineurs.

Enfin, contrairement à ce que racontent les critiques du 14e amendement, le nombre de femmes qui traversent la frontière américaine de façon illégale pour accoucher aux États-Unis est relativement limité.

Mais les faits et la logique ne triomphent pas toujours dans le débat entourant le dossier complexe de l'immigration. Ainsi, selon plusieurs experts, la décision de refuser la citoyenneté américaine aux enfants nés aux États-Unis de parents sans papiers aurait pour effet de décupler plutôt que de diminuer le nombre d'immigrants clandestins dans le pays.