Quatre journalistes américain et canadiens ont été «interdits» jeudi soir par le Pentagone de couvrir toute procédure judiciaire à Guantanamo pour avoir révélé le nom d'un témoin cité lors des audiences préliminaires au procès du Canadien Omar Khadr.

«Les trois journalistes canadiens et la journaliste américaine ont été emmenés par une escorte du Pentagone et on leur a lu une lettre disant qu'ils étaient individuellement interdits de toute procédure judiciaire à venir devant un tribunal militaire d'exception», a raconté vendredi à l'AFP un journaliste présent sur place à Guantanamo.

Un paragraphe des «règles applicables aux médias sur la base navale de Guantanamo» stipule, selon la lettre envoyée par le Pentagone aux directeurs des quatre journaux incriminés dont l'AFP s'est procuré copie, que les journalistes ne peuvent pas «publier, révéler, discuter ou partager des informations caractérisées comme des informations protégées».

«Vos reporters ont publié le nom d'un témoin dont l'identité était protégée par le tribunal», poursuit le département de la Défense dans sa lettre, en précisant que les médias pouvaient faire appel.

Il s'agit de Carol Rosenberg du Miami Herald, de Michelle Shepard du Toronto Star, de Steven Edwards de Canwest et de Paul Koring du Globe and Mail.

Le témoin en question, surnommé «Interrogateur numéro 1» est un militaire américain qui a le premier rencontré le jeune Canadien Omar Khadr à Bagram, lorsque celui-ci est sorti de l'hôpital militaire où il avait subi quatre opérations chirurgicales lourdes.

L'adolescent avait été arrêté à 15 ans, à l'issue d'une bataille où il a reçu deux balles dans le dos et l'épaule et des éclats d'obus dans un oeil. Il était accusé d'avoir jeté une grenade qui a tué un officier américain.

L'«interrogateur numéro 1» avait accordé en 2008 une longue interview au Toronto Star, dans laquelle il acceptait que son nom soit révélé. Michelle Shepard a publié en 2008 un livre consacré à Omar Khadr, intitulé «Guantanamo's child».

L'«interrogateur numéro 1» avait été condamné à cinq mois de prison en 2005 après avoir plaidé coupable de violences contre un détenu afghan qui avait été retrouvé mort à Bagram.

Selon le journaliste sur place, la décision n'est pas judiciaire - le tribunal n'ayant pas formellement caractérisé l'identité de l'«interrogateur numéro 1» comme protégée - mais administrative.

«Nous avons couvert Guantanamo depuis des années et nous avons toujours respecté les règles - comme nous l'avons fait dans ce cas précis», a assuré aux médias Mindy Marques, chef de la rédaction du Miami Herald, qui a consacré une rubrique à part entière à Guantanamo depuis l'ouverture du camp en 2002.

Interrogé par l'AFP, le colonel David Laplan, auteur de la lettre, a reconnu que quelques autres journalistes avaient publié le nom et que la décision d'exclusion avait été prise quand le nom a été répété par les quatre médias.

Selon les journalistes présents à Guantanamo, le témoin a assuré pendant l'audience jeudi avoir rencontré pour la première fois Omar Khadr en août 2002, alors que l'adolescent était tout juste sorti de l'hôpital quinze jours après ses blessures et gisait sur un brancard sous l'effet de sédatifs.

Il a expliqué lui avoir raconté, pour l'effrayer et le faire parler, l'histoire fictive d'un jeune Afghan emprisonné aux Etats-Unis dont les compagnons de cellule, «quatre grands Noirs», avaient découvert qu'il était musulman et l'avaient violé, et qui avait fini par mourir.