Un président des États-Unis peut s'attirer les foudres des «séparatistes» québécois en disant «Vive le Canada» sur un certain ton. En revanche, il peut semer la consternation chez les fédéralistes s'il ne précise pas: «le Canada uni».

De retour à la Maison-Blanche après une visite à Ottawa, au cours de laquelle il avait prononcé un discours à la Chambre des communes, Bill Clinton avait tiré cette conclusion, en souriant, au cours de l'un de ses 79 entretiens avec l'historien Taylor Branch, qui a fait paraître, hier, un ouvrage de 707 pages intitulé The Clinton Tapes.

«Même s'il était allé plus loin que la plupart des présidents américains pour soutenir l'unité canadienne, il avait tenté d'éviter d'enflammer les passions des séparatistes du Québec», écrit Branch en paraphrasant les propos du 42e président américain à la suite de son allocution de février 1995 devant les parlementaires canadiens.

Les sensibilités canadiennes ne sont évidemment qu'un des sujets abordés par Bill Clinton dans ses entretiens avec Branch, enregistrés durant les huit années de sa présidence.

Les médias américains ont déjà fait état des confidences inédites de l'ex-président sur son homologue russe Boris Eltsine, qu'il avait dépeint en train d'essayer de héler un taxi en caleçon, complètement ivre, devant Blair House, la résidence des invités de la Maison-Blanche, pour aller s'acheter une pizza; sur sa prise de bec violente avec le vice-président Al Gore après l'échec électoral de celui-ci contre George W. Bush en 2000; ou sur l'affaire Monica Lewinsky.

Il a mis sa relation avec la jeune stagiaire sur le compte du stress provoqué par la mort de sa mère, la défaite des démocrates aux élections de mi-mandat de 1994 et le scandale immobilier Whitewater. «J'ai craqué, j'ai craqué, j'ai simplement craqué», a répété Bill Clinton à Taylor Branch.

Le titre du livre de Branch est quelque peu trompeur. L'historien, célèbre pour sa biographie magistrale de Martin Luther King, n'a pas eu accès aux fameuses cassettes évoquées dans le titre de son livre. Celles-ci sont la propriété de Bill Clinton, qui les a longtemps cachées dans un tiroir à chaussettes à la Maison-Blanche, de peur qu'elles ne soient réquisitionnées par un de ses inquisiteurs. Elles lui ont servi lors de la rédaction de ses mémoires et elles constitueront un matériel inestimable pour les historiens.

Ouvrage composé

Le livre de Branch n'est donc pas une transcription exacte de ses entretiens avec Bill Clinton, qui en est l'instigateur. Il s'agit plutôt d'un ouvrage composé à partir des notes que l'historien a lui-même enregistrées après ses rencontres avec le président, dont il est l'ami depuis les années 70. Les citations directes sont donc rares, mais The Clinton Tapes permet néanmoins de revivre en temps réel les hauts et les bas de la présidence d'un politicien haut en couleur.

On y apprend notamment que le flair politique de Bill Clinton n'était pas infaillible. Ainsi, contrairement à sa femme Hillary et à Al Gore, l'ancien président était persuadé que le général à la retraite Colin Powell briguerait la Maison-Blanche en 1996 sous la bannière républicaine.

«Sa prédiction erronée à propos de Powell a semblé le ronger», écrit Branch, tout en précisant que Bill Clinton était soulagé de ne pas avoir à affronter l'ancien militaire.