Le journaliste Adam Clymer, ancien chef du bureau du New York Times à Washington, a publié en 1999 l'une des biographies les plus étoffées d'Edward Kennedy. La Presse l'a joint dans la capitale américaine, hier.

Q En quoi Edward Kennedy se distinguait-il de ses frères, en tant que politicien?

R Un de ses frères est devenu président, et pas lui, c'est déjà une différence. Cela dit, Edward Kennedy adorait faire de la politique. Il aimait les tapes dans le dos, ça ne le dérangeait pas que des gens le touchent. Un jour, en 1962, il a croisé un boulanger qui lui a demandé: «Il paraît que vous n'avez pas eu besoin de travailler un seul jour de votre vie?» Ted Kennedy a commencé à balbutier une réponse, mais le boulanger a dit: «Ben, vous n'avez rien raté.» Edward Kennedy adorait cette histoire et il l'a racontée pendant 40 ans. Il prenait plaisir au rituel politique, au contact avec les gens, bien plus que ses frères.

 

Q De quelle façon la mort de ses frères a-t-elle eu un impact sur sa carrière politique?

R Il a été très ébranlé, surtout par la mort de Robert, dont il était devenu très proche pendant leurs trois ans et demi au Sénat. Après l'assassinat, il a envisagé de quitter la politique. Il avait peur. Quand il a fait campagne pour l'investiture démocrate, en 1980, il avait encore peur d'être tué. Mais en même temps, c'est la mort de Robert qui lui a ouvert la porte de la présidence, de la même manière que la mort de John a ouvert la voie à Robert.

Q Est-ce que le fait de reprendre le flambeau familial a été un fardeau pour lui?

R Oui. Mais personne ne l'a forcé à tenter sa chance pour la présidence, il l'a décidé lui-même. Il n'a pas mené une très bonne campagne, et après avoir perdu contre Jimmy Carter, il a décidé de se concentrer sur le travail au Sénat. Et il est devenu un très bon sénateur.

Q Edward Kennedy a longtemps été perçu comme un buveur et un noceur, et non comme un sénateur sérieux. Surtout après le fameux accident de Chappaquiddick. Comment a-t-il fait pour refaire son image?

R Selon moi, Chappaquiddick lui a coûté la présidence. Mais il faut dire que pendant les années 80, Ted Kennedy a été à la fois un noceur ET un sénateur très sérieux. Seulement, la télévision et les tabloïds ne parlaient pas de ça, les détails d'un projet de loi, ça ne les intéressait pas. En revanche, au Sénat, le travail politique compte plus que la vie personnelle. Et il y a fait sa marque. Puis il est devenu amoureux de Vicki et il a fait le ménage dans sa vie personnelle. Avec le temps, il a rebâti son image. Peut-être que mon livre y a un peu contribué.

Q Quelle place Edward Kennedy occupe-t-il dans l'histoire des États-Unis?

R Il aura été le meilleur sénateur du XXe et du début du XXIe siècle. Dans toute l'histoire du pays, seul Henry Clay, qui a réussi à obtenir deux compromis qui ont sauvé l'Union, au XIXe siècle, a été plus important que lui. Ted Kennedy avait un talent incroyable pour tisser des alliances. Et il était prêt à faire des compromis. S'il ne pouvait pas obtenir toute une miche, il acceptait la moitié, ou même le quart, juste pour s'assurer que ses idées progressent, et pour revenir à l'attaque l'année suivante.

Q Quelle a été sa plus grande réalisation?

R Parlons d'abord de son plus grand échec. Il avait fait de l'assurance médicale universelle la cause de sa vie, et il n'a pas pu voir ça de son vivant. Mais en même temps, de nombreux Américains ont une meilleure couverture médicale grâce aux cliniques communautaires, ou aux programmes d'assurance pour enfants. Et Ted Kennedy a joué un rôle central dans tout ça.