La réforme du système de santé américain semble piétiner au Congrès. Mais en coulisses, une autre force est à l'oeuvre, encore plus susceptible que Barack Obama lui-même de faire avancer le dossier, celle des lobbyistes: car l'industrie pharmaceutique, les groupes hospitaliers et les syndicats de médecins et le groupement des assureurs estiment tous que le Congrès doit adopter une réforme cette année, mais se mobilisent tous azimuts pour éviter qu'elle ne se fasse à leurs dépends.

«J'ai le sentiment qu'une réforme majeure peut être adoptée, car tous ceux qui pourraient la tuer sont toujours autour de la table», estime Ken Thorpe, spécialiste des politiques de santé à l'Université Emory d'Atlanta. «Chacun a des reproches sur un aspect ou un autre, mais tous ces groupes veulent que quelque chose soit fait cette année».

Ken Thorpe, qui était un des principaux responsables du ministère de la Santé dans les années 90, a été impliqué de près dans la tentative ratée de réforme du système de l'administration Clinton, échec cinglant dont le spectre hante Washington aujourd'hui.

Le président Barack Obama, dont cette réforme est la priorité numéro un, a continué son propre lobbying, insistant samedi lors de son allocution hebdomadaire sur «l'urgence» à réformer.

Un sentiment que l'industrie de la santé semble aujourd'hui partager. Alors que députés et sénateurs s'étripent, ayant fait barrage à ce dont rêvait Obama, un vote avant les vacances estivales du Congrès, les groupes de pression liés au secteur, eux, s'activent.

Robert Zirkelbach, porte-parole des America's Health Insurance Plans, principale organisation regroupant les assureurs santé, se disait «optimiste»: «Il y a un important soutien de la part des décideurs, et ce dans tout le secteur de la santé».

Le système américain d'assurance-maladie repose de moins en moins sur une couverture fournie via l'employeur, et de plus en plus sur les assurances contractées individuellement, très chères. En outre, ces assureurs privés jouent un rôle de plus en plus important d'intermédiaires pour les programmes fédéraux Medicare (soins aux personnes âgées), Medicaid (soins aux plus modestes) ou de protection de l'enfance.

Et, si le gouvernement exige de chacun qu'il soit assuré -comme le prévoit le projet de réforme- cela pourrait garantir un flux de clientèle satisfaisant pour les assureurs, mais aussi pour les praticiens de santé.

Ces groupes ont donc mis la main à la poche pour que leur avis soit pris en compte: le secteur de la santé a contribué à hauteur de 167 millions de dollars aux campagnes des candidats au Congrès en 2008, selon l'organisation de surveillance des comptes OpenSecrets.org. Les entreprise du secteur ont dépensé 484 millions de dollars en lobbying en 2008, et devraient exploser ce chiffre en 2009.

De leur côté, les laboratoires pharmaceutiques ont fait une proposition de poids: 80 milliards de dollars sur dix ans pour réduire les coûts des médicaments pour les personnes âgées, en cas d'adoption de la réforme.

Les associations hospitalières mettent aussi du leur, en promettant au gouvernement une réduction de 155 milliards de dollars sur les frais Medicare et Medicaid, histoire de libérer des fonds permettant de subventionner la couverture des personnes non encore assurées.

En outre, la querelle politique en cours au Capitole les place aujourd'hui en position de force.

L'un des principaux objectifs des élus les plus à gauche du camp démocrate, favorables à une réforme majeure, est d'y inclure un important plan de protection sociale subventionné, à même de concurrencer l'assurance privée.

Le secteur de l'assurance a justement l'objectif opposé: faire capoter ou vider au maximum de sa substance cette assurance-maladie gouvernementale. La version qu'en propose la Chambre des représentants est basée sur le programme actuel Medicare, et dans ce cas les médecins et hôpitaux seraient perdants, moins payés que par les assurances privées.

De ce fait, tous les regards sont actuellement tournés vers le président de la commission des Finances du Sénat, Max Baucus, un démocrate du Montana, jamais été très chaud pour cette idée d'assurance-maladie gouvernementale: il travaille pour l'heure à un accord de compromis avec une poignée de républicains.

L'idée de Max Baucus est de mettre sur pied un système intermédiaire de coopératives à but non-lucratif, qui auraient moins de pouvoir qu'un «Medicare bis» imposant ses tarifs, mais qui devraient les négocier avec hôpitaux, médecins et sociétés pharmaceutiques, comme le font déjà les assureurs privés.

«Nous espérons qu'au bout du compte un accord bipartisan émergera, bénéficiant tant aux patients qu'à l'économie américaine» (autrement dit aux entreprises du secteur), confie Ken Johnson, vice-président de Pharmaceutical Research and Manufacturers of America, le lobby de l'industrie pharmaceutique.

Barack Obama est favorable à l'option «haute» d'assurance-maladie gouvernementale. Mais si Baucus arrive à décrocher un accord avec les républicains, le président pourrait être obligé d'avaler son chapeau et d'en accepter une version «light». Sous peine d'échec total de son projet de réforme.