Barack Obama invoque la crainte d'une nouvelle flambée d'anti-américanisme dans le monde pour bloquer la publication de photos des sévices commis sur des prisonniers en Irak et en Afghanistan. Mais le président américain donne ainsi l'impression de rompre davantage avec sa promesse de transparence qu'avec les abus de droit de l'ère Bush, et ses arguments légaux paraissent faibles.

La manoeuvre, dénoncée à gauche et saluée à droite, permet en tout cas à l'administration Obama de laisser la responsabilité de la décision aux tribunaux, un mois après la polémique soulevée par la publication -saluée à gauche et dénoncée à droite cette fois- des notes gouvernementales concernant les interrogatoires brutaux de la CIA. Au plan international, publier les photos ranimerait le scandale de la prison irakienne d'Abou Ghraïb en 2004, alors que Barack Obama doit s'adresser au monde musulman depuis l'Egypte le 4 juin. Les photos d'Abou Ghraïb avaient provoqué de nombreuses manifestations et l'indignation générale.

Ce n'est que mercredi que le porte-parole de la Maison Blanche, Robert Gibbs, a annoncé que, sur recommandation de l'armée, le gouvernement invoquait la sécurité nationale pour revenir sur la promesse faite à un juge fédéral de présenter les documents d'ici au 28 mai.

Ces images des sévices infligés à des détenus sous garde américaine en Irak et en Afghanistan font l'objet d'une demande d'information de l'organisation de défense des droits civiques American Civil Liberties Union (ACLU). Washington a récemment accepté de rendre publiques 44 photographies et précisé par écrit qu'il «effectuait les démarches pour rendre public un nombre conséquent d'autres images», qui se compteraient par centaines.

Barack Obama a tenu à expliquer personnellement son revirement mercredi soir à la télévision, en soulignant que les photos d'Abou Ghraïb de prisonniers humiliés et maltraités par des GI américains avaient donné lieu à des poursuites contre «un petit nombre d'individus» et que les «mesures appropriées avaient été prises». Le Pentagone n'a toutefois pas fait savoir l'issue de ses quelque 200 enquêtes en la matière.

«Il ne s'agit pas d'une situation dans laquelle le Pengatone aurait dissimulé ou cherché à justifier des actes déplacés», a argué le président. «En fait, je pense que la conséquence la plus directe de la publication (des photos) serait d'enflammer encore davantage l'opinion anti-américaine et de mettre nos troupes en grand danger.»

Le ministère de la Justice a immédiatement informé le tribunal de cette nouvelle position et ajouté qu'il n'excluait pas de saisir la Cour suprême. Il peut le faire jusqu'au 9 juin.

Barack Obama a assuré que «ces photos ne sont pas particulièrement sensationnelles, surtout par comparaison avec les images pénibles d'Abou Ghraïb». Et d'insister sur le fait que «tout mauvais traitement de détenus est inacceptable. Cela va à l'encontre de nos valeurs. Cela met notre sécurité en danger et cela ne sera pas toléré.»

Reste à savoir si l'argument la sécurité nationale convaincra la justice. Or, contrairement à ce que soutient Washington, il a déjà été invoqué par l'administration Bush et... rejeté, notamment en septembre 2008, par un tribunal fédéral de New York, comme le rappelle Me Jameel Jaffer, de l'ACLU. Il en va de même pour l'autre argument soulevé par l'équipe Obama, selon lequel les documents n'apporteraient «rien de nouveau à la compréhension de ce qui a été commis par le passé par un petit nombre d'individus».

Si les plus à gauche du Parti démocrate au pouvoir et des organisations de défense des droits civiques et de l'Homme ont dénoncé un retour aux pratiques Bush et rappelé que Barack Obama avait promis l'ouverture d'une ère de transparence, côté républicain, on buvait du petit lait. Le directeur de l'association des Familles de militaires unies, Brian Wise, s'est également félicité de la décision de Washington, estimant que l'affaire Abou Ghraïb était classée.