Les États-Unis ont recyclé dès 2002 aux dépens de suspects de terrorisme des techniques d'interrogatoire initialement mises au point pour que leurs soldats résistent à la torture en cas de capture par des pays ennemis.

Un organe peu connu du Pentagone est à l'origine des méthodes d'interrogatoire controversées de l'ère Bush, selon les conclusions d'une enquête du Sénat publiée mercredi, qui vise à faire la lumière sur les dérives consécutives aux attentats du 11 septembre 2001.

Ce document très complet montre que l'organisme en question, le Joint Personnel Recovery Agency (JPRA), a diffusé en 2002 des recommandations destinées à faire parler les suspects qui ont été promptement mises en oeuvre, sur ordre des plus hauts responsables de l'administration, de Guantanamo à l'Irak en passant par l'Afghanistan.

Le JPRA, responsable d'un entraînement baptisé «Survie, évasion et résistance» (SERE) s'est inspiré, pour préparer les soldats en cas de capture, de méthodes utilisées par la Chine pendant la guerre de Corée pour arracher de fausses confessions aux GI.

Ces techniques d'entraînement comportaient: nudité, yeux bandés, positions pénibles ou humiliantes (maintien en laisse), perturbation du sommeil, musique assourdissante, lumières aveuglantes, ou encore exposition à des températures extrêmes et enfin, dans les écoles de la marine, la simulation de noyade.

Ces méthodes évoquent fortement celles qui allaient par la suite faire surface dans la prison irakienne d'Abou Ghraïb.

Mais le 11-Septembre a conduit les responsables du JPRA à les utiliser de façon active et non plus passive.

Le 16 avril 2002, le chef des psychologues du programme d'entraînement de cette agence, Bruce Jessen, faisait circuler à sa hiérarchie un projet visant à obtenir des renseignements de la part de détenus. Et en juillet, un responsable des services de renseignement du Pentagone, Richard Shiffrin, demandait au JPRA des informations sur ces techniques, en expliquant qu'il cherchait à «renverser» leur utilisation.

Selon le rapport du Sénat, des réunions avaient lieu à la même époque à la Maison-Blanche sur ces questions en présence du patron de la CIA, George Tenet, du ministre de la Justice, John Ashcroft, et du secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld. Le rapport affirme en outre que Condoleezza Rice, alors conseillère à la sécurité nationale à la Maison-Blanche, a donné son feu vert à l'utilisation de ces méthodes en juillet 2002.

Le 25 septembre, le vice-président Dick Cheney, des juristes du Pentagone et des fonctionnaires de la CIA se sont rendus à Guantanamo. Une semaine plus tard, deux spécialistes du comportement de Guantanamo proposaient de nouvelles techniques d'interrogatoire.

L'un d'eux a confié aux enquêteurs du Sénat qu'il y avait «une pression croissante pour devenir 'plus dur' lors des interrogatoires».

Lorsque le commandant de Guantanamo, le général Michael Dunlaevy, a demandé à pouvoir recourir à ces techniques, les avertissements se sont multipliés en provenance de différents organes de l'armée, qui ont mis en garde contre des violations de la loi qui pourraient valoir des poursuites à leurs auteurs.

Mais le général Richard Myers, chef d'état-major interarmées, a coupé court à un examen juridique engagé par l'état-major et, le 27 novembre 2002, le conseiller du Pentagone Jim Haynes recommandait l'approbation de 15 des 18 méthodes suggérées par le commandant de Guantanamo.

Donald Rumsfeld signait le document le 2 décembre, ajoutant en marge, à propos des positions pénibles: «Je reste bien debout entre 8 et 10 heures par jour. Pourquoi seulement quatre heures ?»