Les États-Unis commémorent aujourd'hui les 10 ans de la tuerie de l'école Columbine, au Colorado. Le massacre, le plus important à survenir dans une école américaine à l'époque, avait consterné le pays et le monde. Beaucoup de choses ont été écrites et dites pour expliquer la tragédie, mais plusieurs pistes se sont révélées fausses, a découvert un journaliste américain, qui a enquêté sur le sujet.

Le 20 avril 1999, deux adolescents sont entrés dans l'école secondaire Columbine, à Littleton, au Colorado, armés de fusils et de bombes artisanales. Adeptes de musique violente, vêtus de longs imperméables noirs, les deux ados «rejets» ont déchargé leur rage sur leurs camarades qui s'étaient moqués d'eux. Douze élèves et un professeur sont tombés sous leurs balles.

 

Dix ans plus tard, c'est la version de l'histoire qui reste gravée dans la mémoire collective. Une version inexacte, a découvert le journaliste Dave Cullen, auteur de Columbine (Hachette), qui a passé une partie des 10 dernières années à enquêter à Littleton. La réalité derrière le massacre est beaucoup plus complexe.

D'abord, la question évidente: pourquoi? «Il y a deux questions: pourquoi Eric Harris, et pourquoi Dylan Klebold», dit le journaliste, joint cette semaine à Miami.

Les deux garçons ont été décrits comme des «gothiques» appartenant à la Trench Coat Mafia (la mafia des imperméables) qui voulaient se venger de tous les élèves populaires, athlètes et autres jeunes cool de l'école. Faux, selon Dave Cullen. Pas plus qu'ils n'étaient gais, racistes, néo-nazis ou l'objet d'intimidation de la part de leurs camarades. Ils ont tué arbitrairement, et n'ont pas tant agi par vengeance que par désir de tuer, dit le journaliste. Surtout dans le cas d'Harris.

En effet, Eric Harris, 18 ans, et Dylan Klebold, 17 ans, n'étaient pas des «rejets»: ils avaient plusieurs amis à Columbine, et même un certain succès auprès des filles. Ils ont été pincés pour de petits délits (vandalisme, vols), mais étaient considérés comme de bons élèves.

Harris, selon l'enquête de Cullen, était un élève brillant et cool. Il fumait, buvait, flirtait, était invité aux fêtes, faisait du sport, distribuait des pointes de pizza gratuites à la pizzeria où il travaillait.

Il excellait aussi à adopter la bonne attitude à tout moment, notamment pour dire aux adultes ce qu'ils voulaient entendre. Il avait un sang-froid impressionnant, était obsédé par la domination et l'envie de tuer, mentait et se considérait comme un être supérieur. Il fabriquait des bombes artisanales dans sa chambre et avait publié des menaces de mort sur son site web. C'était un vrai psychopathe, a conclu le journaliste.

Dylan Klebold, lui aussi, était brillant, «mais pas trop cool». En tout cas, pas à ses propres yeux. «Dylan ne voyait que la mauvaise partie de lui», raconte Dave Cullen. Dans son journal intime, il a noirci des pages sur son manque d'amour, sa quête inaccessible du bonheur, son désespoir de n'être compris par personne.

Pourtant, expose Dave Cullen, Klebold a grandi au sein d'une famille unie et aimante, avait plusieurs amis et même une copine pour le bal de fin d'études. Il avait très hâte d'aller étudier en informatique au collège.

Timide, docile, les émotions à fleur de peau, il admirait Harris. Mais surtout, il souffrait d'une dépression et n'a pas obtenu d'aide. «Je doute fortement que Dylan aurait pu tuer par lui-même, dit Dave Cullen. C'était un jeune dépressif. Il aurait pu se suicider; il en a parlé pendant deux ans mais ne l'a jamais fait.» Dylan Klebold, croit le journaliste, est devenu dangereux parce qu'il a détourné la rage qu'il avait en lui vers les autres, à cause de l'influence d'Eric Harris.

Du contrôle des armes à la santé mentale

Dix ans plus tard, l'accès aux armes à feu a été restreint au Colorado, et les forces policières ont perfectionné leurs stratégies d'intervention dans les écoles. «Nous sommes moins naïfs, nous prenons les menaces plus au sérieux, nous contrecarrons plusieurs complots de tuerie», dit Dave Cullen.

Mais pour le journaliste, les Dylan Klebold d'aujourd'hui manquent encore d'aide. «Nous n'avons pas fait de réels efforts pour soigner les jeunes psychologiquement malades. Pourtant, si on regarde les tueurs de Columbine et de Virginia Tech, on a un psychopathe, un dépressif et un jeune qui souffrait de sérieux problèmes mentaux.»

«Je pense qu'on aurait pu prévenir la tuerie», soutient l'auteur. Empêcher Dylan Klebold de sombrer dans la folie meurtrière, probablement. Mais peut-être pas retenir Eric Harris d'accomplir des tueries de masse, à moins de l'enfermer. Les psychopathes ne se soignent pas, dit Dave Cullen, en citant des spécialistes. «On peut penser que si Eric avait atteint l'âge adulte, il aurait pu commettre quelque chose d'encore pire, conclut le journaliste. On aurait pu empêcher Columbine, mais la question la plus difficile est: comment aurait-on pu arrêter Eric Harris?»