Comme des milliers de Washingtoniens fuyant la capitale à l'approche des cérémonies d'investiture de Barack Obama, Frank Mearns, un sans-abri, a prévu de prendre ses cliques et ses claques et de quitter son repaire à deux pas de la Maison Blanche.

Mais il ne louera pas son pied-à-terre au prix fort et ne s'offrira pas une escapade en Floride. Frank Mearns fait partie de la légion de sans-abri appelés à quitter la capitale avant la prestation de serment du 44e président des Etats-Unis mardi à la mi-journée.

«Il y aura une rafle jeudi à 5 heures du matin», dit l'homme de 37 ans rencontré six jours avant les cérémonies qui vont attirer des centaines de milliers de gens, sous haute sécurité. «Tout le monde devra partir d'ici et ne pas revenir avant jeudi prochain».

«Ici», c'est un secteur situé dans un vaste périmètre au coeur de la capitale, entourant le Capitole, où Obama prêtera serment, et la Maison Blanche. Mais c'est aussi l'endroit où vit Frank Mearns et une dizaine d'autres SDF.

Cinq de ses compagnons travaillent à temps plein, mais ne peuvent s'aligner sur les coûteux loyers de la capitale. Un autre a dû quitter sa maison de la Nouvelle-Orléans après l'ouragan Katrina. Il y a des femmes dans le groupe.

«Il y a une femme qui est à la rue depuis dix ans et a été violée plusieurs fois. Elle dort à côté du type de Katrina, et s'il n'est pas là, elle dort ailleurs. Elle dort ici par sécurité. Elle ne sait pas où elle ira la semaine prochaine», explique Frank Mearns.

Selon Michael O'Neill, de l'Association nationale pour les sans-abri, jusqu'à 1.200 personnes vivent dans le périmètre de sécurité établi pour l'investiture, y compris sur Pennsylvania Avenue, l'adresse officielle de la Maison Blanche, où aboutira le défilé présidentiel.

Pour l'ancien sans-abri David Pirtle, les efforts en cours pour vider le centre de Washington de ses SDF sont sans précédent.

«J'étais dans la rue lors de la seconde investiture de George W. Bush en 2005 et ça n'avait rien à voir. Il n'y avait pas de rafle à grande échelle. J'ai dormi sur Pennsylvania Avenue la veille et la nuit d'après l'investiture», assure l'homme de 34 ans, qui travaille désormais pour l'association.

«Mais quels que soient les efforts de l'administration pour que ça ait l'air aseptisé, les sans-abri ne seront pas invisibles. On ne peut pas faire disparaître 6 à 12.000 personnes», dit-il, évoquant les chiffres officiels de la population des SDF à Washington et sa banlieue.

Une dizaine de foyers prévoient de rester ouverts 24 heures sur 24 de dimanche à mercredi. Ils seront équipés de télévisions retransmettant en direct les cérémonies d'investiture.

Mais ils ne disposent que de 2.800 lits. Et «il se passe des choses» dans les foyers, selon Frank Mearns, qui sera hébergé chez un ami pour le week-end.

Entre un et deux millions de personnes sont attendues pour l'investiture à Washington, certaines s'apprêtant à débourser des dizaines de milliers de dollars pour une nuit d'hôtel et participer à l'un des bals huppés prévus mardi soir. Des mesures de sécurité sans précédent ont été mises en place, étant donné les foules attendues.

Selon le maire de Washington, Adrian Fenty, les cérémonies d'investiture vont coûter 47 millions de dollars à la ville et 28 millions à la banlieue.

«Nous montrons nos priorités en tant que pays: organiser une fête pour des millions de dollars, en essayant de cacher sous le tapis nos pauvres et nos sans-abri», regrette David Pirtle. «C'est un début malencontreux pour une nouvelle administration qui prône l'espoir».