Les États-Unis ne pourront peut-être jamais juger Mohammed al-Qahtani parce qu'il a été torturé, selon une haute responsable du Pentagone, laissant planer le doute sur la possibilité de juger un jour les cinq hommes accusés d'avoir organisé le 11 septembre.

Mercredi dans le Washington Post, Susan Crawford, une juge militaire à la retraite chargée dans l'administration Bush de décider du renvoi des détenus de Guantanamo devant un tribunal, a expliqué les raisons pour lesquelles elle avait abandonné les charges contre ce Saoudien, en mai dernier.

«Nous avons torturé Qahtani», a-t-elle affirmé. «Son traitement correspond à la définition légale de la torture. Et c'est pour cette raison que je ne renvoie pas ce cas» devant la justice d'exception créée pour les détenus de Guantanamo, a ajouté celle qui supervise ces tribunaux.

M. al-Qahtani, 30 ans, est soupçonné d'être le vingtième terroriste chargé de détourner les avions de ligne le 11-Septembre. Mais il aurait été interdit d'entrée sur le territoire américain en août 2001.

«Le FBI a des preuves fiables que Qahtani a appelé Mohammed Attah en arrivant à Miami», qui peuvent encore permettre de le traduire devant une cour fédérale, a nuancé pour l'AFP Sarah Mendelson, directrice d'études au Centre d'études stratégiques et internationales. En revanche, a-t-elle précisé, «il est possible que le juge le place en soins psychiatriques». «Il a été extrêmement malmené».

Isolement prolongé, privation de sommeil, nudité, humiliations et exposition prolongée au froid figurent parmi les techniques utilisées par les militaires américains à son encontre, selon Mme Crawford.

Interrogée, une porte-parole du Pentagone, Cynthia Smith, a affirmé à l'AFP «ne pas savoir pourquoi Mme Crawford a décidé de parler à la presse». Pour Mme Mendelson, en effet, la question se pose. A une semaine de la prise de fonction du nouveau président, Barack Obama, «lance-t-elle le débat parce qu'elle craint des poursuites contre les haut-responsables de l'administration Bush ?», a interrogé la spécialiste.

Les techniques d'interrogatoires décrites étaient «autorisées» à l'époque, en 2002-2003, par le secrétaire d'Etat Donald Rumsfeld, mais ne le sont plus à l'heure actuelle, a par ailleurs expliqué à la presse un autre porte-parole du Pentagone, Bryan Whitman.

Cette situation inédite laissée par l'administration Bush à Barack Obama, devrait prendre une place de choix dans les différents casse-tête auxquels ce dernier va être confronté dès mardi.

Il va en effet devoir décider très vite de poursuivre la détention du Saoudien, sans charge mais au nom de sa dangerosité potentielle, de le faire déférer devant une cour fédérale ou militaire classiques, ou de le libérer.

Au-delà du simple cas d'école Qahtani, ces révélations pourraient avoir un impact sur le sort judiciaire de cinq hommes soupçonnés d'avoir organisé les attentats du 11 septembre.

Le vice-président sortant Dick Cheney a confirmé récemment que Khaled Sheikh Mohammed, qui affirme en avoir été le cerveau, et deux autres, avaient été soumis à la technique consistant à simuler leur noyade («waterboarding»).

«Le président et le vice-président des Etats-Unis ont pris une décision (...) importante parce que des agents du FBI, nous le savons, écrivaient dans des mémos "vous êtes en train de mettre en péril de nombreuses poursuites"», a expliqué à l'AFP le lieutenant-commandant Brian Mizer, avocat militaire d'un des cinq hommes.

«Nous avons peut-être perdu la possibilité d'aller devant un tribunal et de juger ces hommes», a-t-il regretté, jugeant qu'«il pourrait être impossible, devant une cour classique, d'obtenir une condamnation».

Une conclusion que Sarah Mendelson ne partage pas. Khaled Sheikh Mohammed «aurait pu être déféré immédiatement (sans interrogatoire, ndlr) devant le système judiciaire américain, il n'y avait aucune raison de le cacher et de le torturer», assure-t-elle.