L'historien américain Howard Zinn se méfie des attentes suscitées par la victoire de Barack Obama . Interviewé par La Presse à la veille de son passage à Montréal, cet intellectuel renommé se dit convaincu qu'il n'y aura pas de changements majeurs à la politique étrangère de son pays. Il estime néanmoins que l'élection d'Obama «rapproche les États-Unis du reste du monde».

Q En tant qu'historien américain, auriez-vous été en mesure de prédire que vous verriez de votre vivant un président américain noir ?

 

R Non. Parce que l'héritage de l'esclavage est très fort. En fait, même si nous sommes passés par-dessus avec l'élection d'Obama, cela persiste. Après tout, McCain a remporté 47% des voix. Et la plupart des électeurs qui ont voté pour lui étaient blancs. Même si un solide pourcentage de Blancs ont voté pour Obama, il y a bien sûr plus des Blancs qui ont voté pour McCain.

Q Pourquoi Obama a-t-il été en mesure de triompher ?

R L'administration Bush a contribué à rendre sa victoire possible. Il y a des choses encore plus importantes que le racisme, même pour les Blancs qui ont des sentiments racistes. L'administration Bush a été si pitoyable et a mis tant de gens en colère que plusieurs ont été capables de mettre de côté leurs préjugés afin de voter pour

Obama. () Mais il est aussi vrai que nous avons fait des progrès. Il y a 20 ou 30 ans, il y avait plus de racistes dans ce pays qu'aujourd'hui.

 

Photo: archives La Presse

Howard Zinn, historien américain et professeur à l'Université de Boston.

Q Quelle est la signification historique de sa victoire ?R Ça démontre plusieurs choses. Que les États-Unis ne sont pas les mêmes aujourd'hui qu'il y a 20 ans pour ce qui est de l'attitude à l'égard de la race. Ce qui est significatif, c'est qu'il y a eu des progrès, que les gens changent et qu'ils peuvent changer. Par ailleurs, maintenant qu'un Afro-américain a été élu, ça montre aux gens que ça peut être fait et que ça ne prend pas un miracle. Les possibilités, à l'avenir, ne sont plus les mêmes. () Enfin, même si les nations blanches dominent le conseil de sécurité de l'ONU et l'économie quoique de moins en moins la majorité du monde n'est pas blanche. L'élection d'Obama rapproche donc les États-Unis du reste du monde.

Q On rapporte que les conseillers d'Obama lisent actuellement des livres sur les 100 premiers jours de Franklin D. Roosevelt. Estce que ce serait une bonne chose pour le pays si Obama s'inspirait de Roosevelt ?

R Ce serait une très bonne chose pour le pays. Cela dit, bon nombre de ses conseillers sont peut-être en train de lire sur Roosevelt, sur ses 100 premiers jours et sur le New Deal, mais jusqu'ici, ses conseillers qui sont pour la plupart conservateurs , ne montrent pas qu'ils sont enclins à aller de l'avant avec des politiques comme celles de Roosevelt . () Ce sont des démocrates traditionnels.

Q Vous pensez donc qu'Obama ne sera pas le nouveau Roosevelt ? Pensez-vous qu' il décevra ?

R Je ne sais pas, mais jusqu'ici il n'a pas démontré ce genre d'audace. Par exemple, son soutien au plan de sauvetage des institutions financières de 700 milliards de dollars est une façon plutôt conservatrice de faire face à une crise économique. S'il était audacieux et suivait une philosophie de type New Deal, plutôt que de donner 700 milliards aux institutions financières, il prendrait cet argent et le donnerait directement aux gens qui en ont besoin. Il aiderait les gens à payer leurs hypothèques et créerait des emplois.

Q Prévoyez-vous des changements majeurs en matière de politique étrangère?

R Il y aura des changements. Je pense qu'Obama ne fera pas exactement comme Bush. Il sera plus enclin à parler aux autres pays, à négocier avec les autres pays. Peut-être va-t-il modifier notre très mauvaise politique à l'égard de Cuba. Peut-être sera-t-il plus enclin à parler à l'Iran. Il y aura donc des changements, mais pas fondamentaux. Nous aurons encore une politique étrangère militariste. Quand Obama parle de faire prendre de l'expansion à l'armée et de maintenir un budget militaire important, ce n'est pas un changement très audacieux.

Howard Zinn prononcera une conférence à l'UQAM ce soir à 19 h, à la salle Marie-Gérin-Lajoie du pavillon Judith Jasmin.