Les Russes restent de glace. Les Mexicains sont heureux, mais perplexes. Ailleurs, l'élection de Barack Obama à la présidence américaine est accueillie avec autant de bonheur que d'espoir. Par la population, mais souvent même aussi par les dirigeants politiques. Tour d'horizon.

 

Le Kenya fête la victoire d'un frère

Au Kenya, pays d'origine du père de Barack Obama, les célébrations suivant l'annonce de sa victoire ont transcendé les classes sociales et insufflé un vent d'espoir et d'unité dans ce pays africain divisé.

Dès 7h du matin, hier, les Kényans se sont réveillés avec la confirmation que leur «frère» va occuper le bureau Ovale de la Maison-Blanche. «C'est une grande journée pour le continent africain», articulait avec peine Maurice D. Amollo, qui avait passé la nuit debout dans un bar de la capitale.

Suivant l'annonce, la télévision nationale a diffusé des images de Kogelo, le village ancestral d'Obama, à 480 km à l'ouest de Nairobi et à des années-lumière de Washington. Les villageois, visiblement émus, dansaient et chantaient. Avec eux, les membres de la grande famille Obama regroupés autour de leur doyenne, Mama Sara, la grand-mère du président désigné.

Le président kényan Mwai Kibaki a annoncé que le 6 novembre allait être congé férié: l'Obama Day. Dans ce pays qui se remet encore des violences postélectorales de janvier, Obama aura réussi à unifier les Kényans avec son message d'espoir. Mais la déception risque de suivre rapidement: nombreux sont ceux qui croient qu'ils n'auront plus besoin de visa pour aller aux États-Unis et que l'aide humanitaire américaine versée au Kenya atteindra des sommets.

La Grande-Bretagane entre l'euphorie et l'espoir

Le vent d'espoir qui a soufflé sur les États-Unis mardi a atteint les côtes britanniques hier. Les médias londoniens n'ont pas économisé l'encre pour saluer l'arrivée d'un «nouveau monde». Le Sun, le tabloïd le plus lu, a qualifié l'élection de Barack Obama de «pas de géant pour l'humanité».

«L'accession du fils d'un berger africain au bureau le plus puissant au monde est la preuve que le rêve américain est bien vivant», s'enflammait le quotidien.

Cette élection a même donné lieu à une joute verbale entre le premier ministre Gordon Brown et le chef du Parti conservateur, David Cameron, à la Chambre des communes hier. «Si les Américains ont voté pour le changement, pourquoi la Grande-Bretagne ne peut pas en faire autant?» a demandé David Cameron, le jeune chef de l'opposition.

Gordon Brown a répondu que Barack Obama partageait les mêmes valeurs progressistes que son Parti travailliste, de gauche.

Il n'y a pas eu d'explosions de joie dans les rues de Londres. Toutefois, la plupart des Londoniens interviewés par La Presse étaient heureux du résultat. Barack Obama avait promis en mai dernier qu'il traiterait la Grande-Bretagne d'égal à égal s'il était élu.

Le gouvernement de Brown peut espérer faire front commun avec lui sur plusieurs dossiers, dont le réchauffement climatique, les guerres en Irak et en Afghanistan et les faiblesses du système financier international.

«La relation entre les États-Unis et la Grande-Bretagne s'améliorera considérablement», prédit Robin Shepherd, du groupe de réflexion Chatham House.

Indifférence et menace en Russie

Alors que le reste de la planète était sous l'emprise de l'obamanie, les Russes sont demeurés indifférents à l'élection américaine. Le président Dmitri Medvedev en a plutôt profité pour annoncer le déploiement de missiles dans l'enclave de Kaliningrad, afin de neutraliser le futur bouclier antimissile américain en Pologne et en République tchèque.

Hier, l'attention de la presse russe se portait plutôt sur le premier discours annuel à la nation de Medvedev, élu en mars dernier. Brièvement, il a exprimé son espoir de voir la «nouvelle administration américaine» opter pour de «bonnes relations» avec la Russie, sans jamais citer le nom d'Obama. Il n'a toutefois pas omis de critiquer le gouvernement américain actuel pour sa gestion de la crise financière.

L'élection du candidat démocrate à la présidence permettra peut-être d'apaiser les tensions de la fin de l'ère Bush, mais elle ne signifie certainement pas un virage à 180 degrés.

Si Obama s'est montré moins sévère que son adversaire McCain lors de la guerre russo-géorgienne d'août dernier, il voit néanmoins en la «Russie résurgente et très agressive une menace pour la paix et la stabilité dans la région».

Comme George W. Bush, il s'est prononcé en faveur d'un élargissement de l'OTAN aux deux ex-républiques soviétiques de Géorgie et d'Ukraine, ce à quoi s'oppose farouchement la Russie.

Pékin craint le protectionnisme démocrate

En cette période de crise économique, Pékin marche sur des oeufs. Évidemment, le président chinois Hu Jintao a félicité hier Barack Obama pour sa victoire et a précisé qu'«une relation plus rapprochée entre (les) deux pays sera bénéfique aux peuples chinois et américain, mais aussi aux peuples du monde entier».

La direction chinoise reste pourtant sur ses gardes. Comme le rappelle Joseph Cheng, professeur de sciences politiques à l'Université de Hong Kong, «les démocrates sont traditionnellement bien plus agressifs vis-à-vis de la Chine sur les thèmes économiques que les républicains. Leur obtention de la majorité au Sénat s'est déjà caractérisée par une montée du protectionnisme de Washington, une tendance que les Chinois craignent d'autant plus que l'attaque d'Obama sur la politique monétaire de la Chine (publiée la semaine dernière) l'a confirmé».

Le creusement du déficit bilatéral américain, qui s'est propulsé de 83 milliards de dollars en 2000 à 256 milliards en 2007 et qui devrait encore progresser cette année, s'annonce donc embarrassant pour Pékin.

Autre thème d'importance: la montée en puissance de la Chine dans le concert des nations. Des dirigeants étrangers ont appelé le pays à prendre sa place dans les instances internationales. Ni George W. Bush ni Barack Obama n'ont fait de déclaration en ce sens.

La France applaudit

Pascale, documentaliste parisienne, arborait mardi soir un T-shirt de soutien à Barack Obama. Elle l'a remplacé hier matin, victoire oblige, par un autre modèle avec un message invitant le nouveau président américain, en argot de rapeur, à «secouer la Maison-Blanche».

Comme des milliers de ses compatriotes, elle s'était levée au milieu de la nuit pour prendre connaissance des résultats du scrutin, longs à venir en raison du décalage horaire. Elle a poussé un soupir de soulagement en voyant que la victoire attendue devenait réalité.

Plusieurs bars de la capitale avaient organisé des soirées spéciales pour suivre en direct la soirée électorale. À plusieurs endroits, la foule débordait largement dans la rue, chaque nouvelle annonce pro-Obama - comme la prise de la Pennsylvanie - se traduisant par des applaudissements et des cris.

La classe politique française était aussi allègre hier, les élus de toute orientation se montrant presque unanimes pour une rare fois.

Le président Nicolas Sarkozy, admirateur déclaré du charismatique leader américain, lui a transmis un message de félicitations vers 5h, saluant sa «victoire brillante» et une campagne «exceptionnelle» qui a permis de prouver «la vitalité de la démocratie américaine».

L'entourage du chef d'État français maintient que les deux hommes ont des priorités similaires, notamment en ce qui a trait à la lutte contre les «conservatismes et les corporatismes».

Le Parti socialiste, qui doit se choisir un nouveau premier secrétaire dans les jours qui viennent, est aussi enthousiaste. Typiquement, les principaux candidats en lice cherchaient hier à s'approprier la victoire du politicien démocrate pour plaider leur propre cause.

Les Mexicains heureux mais perplexes

Convaincus qu'un président noir sera plus sensible au sort de leurs compatriotes installés aux États-Unis, les Mexicains n'ont pas caché leur sympathie pour Barack Obama durant la campagne. C'est donc sans surprise que l'explosion d'allégresse due à la victoire du candidat démocrate a débordé la frontière sud des États-Unis.

Cependant, la presse mexicaine rappelle que le futur occupant de la Maison-Blanche, qui n'a jamais mis les pieds au sud du Rio Grande, ne connaît pas grand-chose du Mexique. Cela n'empêche pas les médias d'endosser les a priori positifs générés par l'élection d'un président noir et progressiste. «Il est clair que ses prises de position seront beaucoup plus bénéfiques pour notre région que la sympathie démagogique professée par Bush et McCain», écrit le quotidien La Jornada.

Obama s'est engagé à mettre une réforme migratoire sur les rails durant la première année de son mandat afin de faciliter les régularisations de sans-papiers, en majorité d'origine mexicaine. Mais il y a un dossier qui inquiète les Mexicains: la menace, lancée par le démocrate, de renégocier le Traité de libre-échange nord-américain.

Le président du Mexique, Felipe Calderon, qui avait flirté avec la candidature de McCain, a sobrement félicité son futur homologue et il l'a invité au Mexique. La perspective d'une visite d'Obama à court terme n'est pas fantaisiste: des rumeurs laissent entendre qu'elle aurait lieu en décembre, avant même qu'il soit investi président en janvier.

Israël enthousiaste

En Israël, l'élection de Barack Obama a suscité des réactions enthousiastes même si les craintes ne sont pas tout à fait dissipées. Comme dans la plupart des pays du monde, l'ensemble de la classe politique israélienne a salué la victoire de Barack Obama. Tsipi Livni, la ministre des Affaires étrangères et candidate au poste de premier ministre, a souhaité que «l'étroite coopération stratégique» qui lie les deux pays se poursuive sous la nouvelle présidence. Israël espère notamment pouvoir compter sur les États-Unis pour faire face à la menace iranienne.

Benyamin Nétanyahou, chef de l'opposition de droite, s'est dit certain que Barack Obama amènerait la paix dans la région. Seuls les ultranationalistes font grise mine. Ainsi Arieh Eldad, député de l'Union nationale, craint que le président américain n'achète «les faveurs des Arabes avec de l'argent israélien».

Cette réaction reflète un sentiment de défiance très présent au début de la campagne de Barack Obama. À plusieurs reprises, la presse a pointé l'engagement pro-palestinien de certains de ses proches collaborateurs, son ascendance musulmane et les diatribes violemment antisionistes de son ancien pasteur, Jeremiah Wright. Pour rectifier le tir, Barack Obama avait effectué un voyage en Israël en juin dernier où il a notamment visité la ville de Sdérot, régulièrement visée par les tirs de roquettes palestiniennes.

Sur la question sensible de Jérusalem, le candidat démocrate avait affirmé que la ville sainte devait rester la capitale indivisible d'Israël , avant de nuancer son propos. Quoi qu'il en soit, ces gages d'amitié ont été efficaces. Peu à peu les Israéliens ont été gagnés par l' «Obamanie» et les Juifs américains ont apporté un soutien massif au candidat démocrate.