Le rendez-vous a lieu dans un restaurant de Chicago à la fin de septembre 2001. Barack Obama est en compagnie de David Axelrod, un conseiller en communication qui l'a souvent encouragé à faire le saut en politique nationale. Un journal est posé sur la table. En première page s'étale le visage d'Oussama ben Laden.

«Terrible, hein? dit Axelrod en regardant le journal. Vraiment pas de chance. Tu ne peux pas changer de nom, bien sûr, les électeurs se méfient de ce genre de chose. Si tu étais au début de ta carrière, tu pourrais peut-être utiliser un surnom, quelque chose comme ça. Mais maintenant...»

À l'époque, Obama pensait qu'Axelrod avait raison de croire que son avenir politique était compromis à cause de son nom, comme il le raconte dans son deuxième livre, L'audace d'espérer. De toute évidence, les deux hommes avaient tort. Le politicien, dont le patronyme fait penser au nom du chef du réseau terroriste Al-Qaeda, vient d'être élu à la Maison-Blanche. Et le conseiller en communication, qui est devenu son stratège principal, aura contribué à l'ascension politique la plus invraisemblable de l'histoire américaine.

«Nous pouvons construire une Amérique qui porte davantage de promesses», avait déclaré Barack Obama le 10 février 2007 dans son discours de candidature, prononcé à Springfield, capitale de l'Illinois, où sa carrière politique avait commencé 10 ans plus tôt.

«C'est pourquoi, dans l'ombre du vieux Capitole où Lincoln appela une maison divisée à s'unir, où les espoirs et les rêves communs continuent de vivre, je vous annonce aujourd'hui ma candidature à la présidence des États-Unis.»

Sur les traces de Lincoln

En se plaçant sous le patronage d'Abraham Lincoln, le président qui transforma les États-Unis d'Amérique en abolissant l'esclavage et en sortant vainqueur de la guerre de Sécession, Barack Obama envoyait un double message.

Il s'attaquait d'abord à ce qui semblait être son talon d'Achille, à savoir son manque d'expérience en politique nationale et internationale. Or, son parcours n'était pas différent de celui de Lincoln: il briguait la présidence de son pays après n'avoir siégé que huit ans à Springfield et deux ans à Washington.

Il levait, en outre, le voile sur ses ambitions: changer son pays en commençant par lui demander d'élire à la présidence un homme de couleur dont le nom complet - Barack Hussein Obama - témoigne à la fois des origines africaines et musulmanes de son père.

Tout au long de la course à la Maison-Blanche, des commentateurs conservateurs ont voulu voir un désir d'expiation dans l'appui de plusieurs électeurs blancs au sénateur de l'Illinois. En votant pour lui, ils tentaient de racheter les fautes des Blancs, de l'esclavage au ségrégationnisme en passant par le racisme ordinaire. Si Lincoln fut l'émancipateur des Noirs, Obama serait ainsi le rédempteur des Blancs.

C'est une explication commode pour ceux qui veulent faire abstraction du bilan républicain des huit dernières années et de la soif de changement que le candidat démocrate a engendrée dans l'électorat. Barack Obama, dont le prénom signifie «béni des dieux» en swahili, aura eu la chance de briguer la Maison-Blanche après une présidence controversée et impopulaire qui sera peut-être considérée comme l'une des pires de l'histoire américaine.

Il aura également profité d'une crise financière qui, durant les dernières semaines de la campagne, a éclipsé les questions de sécurité nationale, le sujet de prédilection de John McCain.

«J'ai un rêve aujourd'hui»

Mais il y a une part de vérité dans cette idée d'un Barack Obama appelé à jouer un rôle rédempteur. Le premier président noir ne rachètera pas les fautes des Blancs. Toutefois, il pourrait changer non seulement l'image de son pays dans le monde, mais également sa politique étrangère.

Son élection, en elle-même, obligera les détracteurs des États-Unis à réviser leur jugement sur ce pays. En choisissant Barack Obama, les Américains ont fait preuve d'une ouverture dont plusieurs citoyens de la planète les croyaient incapables.

«Les Américains n'éliront jamais un Noir à la Maison-Blanche», a-t-on entendu à maintes reprises depuis un an.

Tu parles! Ces mêmes Américains seront bientôt dirigés par un métis dont le nom évoque de surcroît deux des plus grands ennemis de leur pays, Saddam Hussein et Oussama ben Laden.

«Je vous dis aujourd'hui, mes amis, que malgré les difficultés du moment, j'ai quand même un rêve», disait Martin Luther King dans le célèbre discours qu'il avait prononcé dans les marches du Lincoln Memorial, le 28 août 1968. «C'est un rêve profondément enraciné dans le rêve américain.»

«Je rêve que mes quatre enfants habiteront un jour une nation où ils seront jugés non pas par la couleur de leur peau, mais par le contenu de leur caractère. J'ai un rêve, aujourd'hui.»

Depuis hier, plusieurs citoyens du Moyen-Orient, pour ne mentionner qu'eux, font partie de ceux qui se demandent s'ils ne rêvent pas. Barack Hussein Obama? Élu à la Maison-Blanche? Comme plusieurs Américains, ils se remettront peut-être à croire aux États-Unis d'Amérique.

Une ère progressiste?

«Cela n'électrisera pas seulement notre pays», avait prédit l'ancien secrétaire d'État Colin Powell au sujet de l'éventuelle élection de Barack Obama à la présidence. «Cela électrisera également le monde.»

Les États-Unis n'ont jamais été la chasse gardée de George W. Bush, Dick Cheney ou Karl Rove. C'est aussi le pays de Barack Obama, qui apporte avec lui la promesse d'un renouveau après huit années de politique marquée au coin du conservatisme, de l'unilatéralisme et du militarisme.

Lancée il y a près de deux ans, la campagne électorale de l'ancien travailleur communautaire de Chicago aura mis en valeur son éloquence, son intelligence, son calme et son sens de l'organisation. Ces qualités lui ont permis de surprendre Hillary Clinton durant la course à l'investiture démocrate et de résister aux attaques du camp McCain par la suite.

Il faudra voir si ces qualités lui permettront d'exercer à la Maison-Blanche le pouvoir transformateur qu'il promet. Son prédécesseur lui lègue deux guerres qui l'obligeront sans doute à prendre des décisions impopulaires à l'étranger. Il lui laisse aussi un déficit qui limitera sa marge de manoeuvre sur le plan intérieur.

Mais il ne sera pas seul à mener le combat. Le scrutin d'hier a permis aux démocrates d'augmenter leurs majorités au Sénat et à la Chambre des représentants. Une nouvelle ère politique commencera à Washington le 20 janvier prochain. Ce jour-là, Barack Obama prononcera son discours d'inauguration en tant que 44e président des États-Unis, incarnation d'un rêve américain qui redonnera peut-être à son pays le goût de renouer avec ses valeurs progressistes.