Des campagnes pauvres de Roumanie aux rues de la région parisienne où ils sont forcés de voler, mendier ou se prostituer, l'itinéraire de dizaines d'enfants roumains victimes de la traite des êtres humains en France est parsemé de multiples tromperies et violences.

Le visage noyé de larmes, Aneta, 14 ans, raconte à l'AFP en roumain «son rêve devenu cauchemar» devant d'autres jeunes camarades également forcées à se prostituer à la périphérie nord de Paris après que leurs parents, souvent des villageois roumains très défavorisés, aient cru à de fausses promesses.

«Un jour un homme est venu chez mes parents avec un voisin du village et il a proposé de m'offrir un travail en France dans un restaurant», explique la jeune européenne. «Moi j'ai eu un peu peur de partir seule avec lui, mais mes parents ont vite signé une autorisation de sortie de territoire devant le notaire disant que j'étais confiée à cet homme. Ils m'ont expliqué que nous étions tellement pauvres que c'était mieux pour mon avenir».

Arrivée en France il y a quatre mois, Aneta se réjouissait de visiter Paris mais comme des dizaines d'enfants roumains, elle a vite déchanté en atteignant la France: «l'homme a pris mes papiers et m'a battue jusqu'à ce que j'accepte d'aller me prostituer avec trois autres filles.»

Aujourd'hui Aneta «voudrait mourir» car elle ne veut ni continuer cette vie de «viols quotidiens» ni rentrer dans son village, «déshonorée». Son seul espoir: «être protégée par la justice et aller à l'école en France».

De son côté, Lorend, jeune Rom roumain de 15 ans, vit à la rue dans le nord de Paris. Il est «contrôlé» par un «cousin» qui a également trompé sa mère sur la nature du voyage et le force à voler et mendier. «J'ai déjà fait l'Espagne et l'Italie», explique-t-il, «à chaque fois, quand je me fais arrêter on me renvoie en Roumanie et ce cousin m'expédie dans un autre pays. Je voudrais m'enfuir mais j'ai peur».

En 2009, 270 nouveaux jeunes roumains, dont une centaine étaient dans des situations de traite et une quarantaine se prostituaient, ont été suivis par l'association Hors-la-Rue.

«En région parisienne aujourd'hui, nous sommes confrontés à des enfants des rues aussi cassés que dans le Tiers-Monde», assure Édouard Donnelly, président de cette association qui a accompagné 1600 jeunes Roumains depuis 2002. «De très jeunes mineurs, d'une moyenne d'âge de 14 ans, se trouvent notamment en situation de traite et singulièrement de prostitution».

Ces jeunes adolescents, contraints de voler, mendier ou se prostituer par des réseaux plus ou moins organisés à l'échelle de l'Union européenne, «ont avant tout besoin de protection et d'un véritable projet de vie passant par une scolarisation ou une formation», souligne Alexandre Le Clève, directeur de Hors-la-Rue, «mais ils sont souvent victimes des politiques de contrôle de l'immigration».

Ainsi, dit-il, «certaines jeunes victimes d'exploitation ont été rapatriées alors que les autorités ignoraient les conditions de sécurité et de réinsertion qui leur étaient garanties» à l'arrivée.

Jean-François Martini du Gisti, une organisation de soutien des immigrés, affirme également que la France renvoie «à l'aveuglette» certains mineurs étrangers isolés interceptés aux frontières «sans savoir s'ils sont victimes de traite».

Une version récusée par le ministère de l'immigration: interrogé par l'AFP celui-ci a affirmé que «les mineurs qui se présentent aux frontières sont toujours pris en charge par un administrateur ad hoc pour les représenter et les protéger».