Au moins 50 personnes ont été tuées dans des attentats qui ont secoué l'Irak depuis une semaine. L'instabilité politique du pays, dans l'impasse depuis les élections législatives de mars, n'est pas étrangère à cette recrudescence de la violence, estiment Peter Harling, directeur de projet à l'International Crisis Group, joint à Damas, et Saba Jabbar, de La'Onf, organisme irakien consacré à la défense des droits humains, jointe à Bagdad.

Q: Après une relative accalmie l'an dernier, doit-on s'étonner de cette montée de violence?

R: Peter Harling: L'Irak reste fragile. C'est un pays dont la Constitution est encore extrêmement polémique, issue d'accords passés en coulisse en 2005 entre certains acteurs politiques au détriment d'autres. Ses institutions sont également extrêmement fragiles, malgré une présence américaine qui n'a pas débouché sur la consolidation de l'appareil d'État. C'est vrai aussi pour l'appareil de sécurité, qui a acquis énormément de compétences, mais qui reste très corrompu, très sectaire. La population est brutalisée, confuse, marquée par ces dernières années de tragédies. L'environnement régional est instable. La décennie de l'administration Bush n'a rien résolu, n'a fait qu'ouvrir des fronts et exacerber des problèmes. Bref, une violence chronique en Irak ne devrait pas surprendre. (...) L'occasion a été manquée de poser des bases solides d'une stabilité future.

 

 

Q: En quoi consiste l'impasse politique actuelle?

R: Peter Harling: Les élections ont produit deux candidats sérieux, qui sont arrivés à peu près à égalité; l'un (Allaoui) a remporté la majorité des sièges, mais non la majorité des votes, et l'autre (Maliki) l'inverse. Ces deux candidats sont également inacceptables pour des parties clés au conflit. Maliki s'est aliéné des acteurs incontournables en Irak, dont le courant sadriste (NDLR: partisans de l'imam extrémiste chiite Moqtada al-Sadr), mais aussi les sunnites, en refusant tout effort de réconciliation depuis 2007, et en exacerbant les tensions avec des arrestations, du harcèlement. C'est quelqu'un qui s'est aussi aliéné des acteurs de la scène régionale, en l'occurrence la Syrie et l'Arabie Saoudite. Allaoui, pour sa part, a été élu par les sunnites même s'il est chiite. Il lui manque une légitimité chiite dans un système qui reste extrêmement sectaire. Et il n'a pas la confiance de l'Iran.

 

Q: L'unité de l'Irak est-elle en jeu?

R: Peter Harling: On n'en est pas là. On en est à une phase de rapport de force entre deux candidats à la présidence. Il faut envisager comment sortir de l'impasse avec Allaoui et Maliki. Les deux devront abandonner pour explorer une troisième voie. Et ça peut donner lieu à de la violence. Les négociations peuvent durer plusieurs mois avant d'aboutir à la formation d'un gouvernement d'unité nationale partisan, ou d'une coalition chiite-kurde contre les sunnites, ou une coalition arabe... Il y a beaucoup de possibilités plus ou moins stables. Il est beaucoup trop tôt pour se poser la question de l'avenir de l'Irak. On est dans une phase d'imprévisibilité totale.

 

Q: Comment se sentent les Irakiens?

R: Saba Jabbar: Le gouvernement ne se préoccupe pas de la sécurité dans les rues et est absorbé par cette guerre de la présidence. Il a abandonné ses électeurs. (...) Je ne pense pas que ces attaques viennent d'anciens membres du parti Baas ou d'Al-Qaeda, comme le prétendent les services de sécurité. C'est toujours ce qu'ils essaient de dire quand ils ne peuvent pas trouver une raison convaincante. Les gens ont peur parce qu'ils ont perdu confiance dans tout ce qui les entoure. Même s'ils sont allés voter, ils ont l'impression d'être retournés à la case départ.