Cinq ans après le retrait militaire syrien du Liban, les dirigeants libanais autrefois farouchement hostiles au puissant voisin reprennent le chemin de Damas, conscients que le vent a tourné depuis l'ouverture de Paris et de Washington envers la Syrie, selon des analystes.

Le chef du gouvernement Saad Hariri s'apprête à effectuer sa deuxième visite en Syrie, après avoir accusé dans le passé le régime du président Bachar al-Assad d'avoir commandité l'assassinat en 2005 de son père, l'ex-premier ministre Rafic Hariri.

Le 31 mars, l'un des critiques les plus virulents envers M. Assad, le Druze Walid Joumblatt, s'y est rendu pour la première fois depuis des années: il y a salué les «prises de position» du président syrien, qu'il avait précédemment qualifié de «tyran» et de «sanguinaire».

Pour les analystes, ces volte-face s'expliquent par le changement de la politique des États-Unis et de la France principalement à l'égard de Damas, isolé après l'assassinat de Rafic Hariri et dont les troupes avaient été contraintes de quitter le Liban après 29 ans de présence.

«La Syrie a regagné du terrain depuis ce revirement» de l'Occident, explique à l'AFP Fadia Kiwane, directrice du département de sciences politiques à l'Université Saint Joseph de Beyrouth.

En 2008, le président français Nicolas Sarkozy a été le premier chef d'État occidental à visiter Damas en cinq ans. Les visites de hauts responsables américains se sont aussi multipliées et Washington s'apprête à envoyer son premier ambassadeur en Syrie depuis 2005.

Selon Mme Kiwane, «les Libanais sont désorientés: des pays comme les États-Unis qui les avaient mobilisés contre la Syrie au temps de Bush ont changé de cap après l'arrivée d'Obama».

«Les Libanais ont été trop loin (dans leur hostilité envers Damas), puis la communauté internationale les a lâchés, créant une situation embarrassante: certains politiciens ont fait demi-tour comme M. Joumblatt, d'autres ont baissé de ton», dit-elle.

La situation est particulièrement délicate pour Saad Hariri qui, comme premier ministre, ne pouvait prolonger la rupture avec Damas. Selon son entourage, l'Arabie saoudite, son principal soutien qui s'est aussi rapproché de Damas, le pressait d'«enterrer la hache de guerre».

«M. Hariri s'est complètement démarqué» des positions antisyriennes de ses alliés de la majorité parlementaire «en faisant la trêve avec les Syriens», dit Mme Kiwane.

Cette démarche ne fait pas l'unanimité parmi son camp qui met en garde contre un retour de la tutelle syrienne.

«Damas fait tout simplement comprendre que c'est elle qui a gagné au Liban et pas Washington», explique Ghassan al-Azzi, professeur de sciences politiques à l'Université libanaise.

Si les dirigeants libanais ont été contraints de changer de discours, la Syrie n'a pas vraiment altéré le sien.

«La Syrie voit encore le Liban comme son arrière-cour et sa position est aujourd'hui renforcée par le fait que l'Occident lui demande de contribuer à la stabilité du Liban et des pays voisins» comme l'Irak, estime M. Azzi.

Même au plus fort de la crise Beyrouth-Damas, la Syrie continuait de jouir du soutien d'une grande partie de la classe politique libanaise, notamment du Hezbollah, et une grave crise politique entre pro et antisyriens a failli dégénérer en guerre civile.

Pour l'analyste au quotidien francophone l'Orient-Le Jour Émile Khoury, «le retour syrien semble en bonne voie (mais) cette fois, il ne s'agit pas de retour de bâton, mais plutôt de carotte, puisque ni l'armée syrienne ni les services de renseignements y sont».

«Il n'est donc plus question de donner des ordres, mais plutôt de participer au pouvoir libanais par procuration, ou par la négociation».