En 1976, il enquêtait sur un mystérieux virus qui décimait un village reculé du Zaïre. Trente ans après, le professeur Jean-Jacques Muyembe avertit que l'épidémie d'Ebola en Afrique de l'Ouest doit absolument être éradiquée, sous peine de devenir une «menace pour le monde entier».

Peu connu du grand public, ce chercheur congolais récompensé par le prix Christophe Mérieux 2015 est un pionnier de la lutte contre ce filovirus, qui vient de ravager Guinée, Liberia et Sierra Leone, laissant plus de 11 000 morts dans son sillage.

Jeune médecin formé à Kinshasa puis à l'Université de Louvain (Belgique), où il boucle son doctorat, il est de retour au pays quand survient en 1976 une mystérieuse épidémie à Yambuku, dans le nord du Zaïre, qui deviendra la RDC.

«On disait qu'il y avait beaucoup de morts et le ministre de la Santé m'a demandé d'aller enquêter», raconte-t-il lors d'un entretien avec l'AFP.

Au vu des malades, il pense à la fièvre typhoïde, mais veut en avoir le coeur net. «J'ai fait des prélèvements, je n'avais pas de gants, pas de vêtements de protection». Il rentre alors en urgence à Kinshasa, accompagnée d'une religieuse belge fiévreuse.

C'est le sang de cette dernière, expédié dans une glacière de fortune à l'Institut de médecine tropicale d'Anvers, qui permet à Peter Piot d'identifier ce virus en forme de gros ver de terre, baptisé du nom d'une rivière proche du lieu de la première épidémie: Ebola.

«Et puis ça a été le silence complet, jusqu'en 1995», se souvient le Pr Muyembe.

Cette année-là, on l'appelle à Tikwit, dans le sud de la RDC, pour une épidémie de diarrhée sanglante qui décime population et personnel médical.

«J'ai examiné une religieuse italienne et j'ai vu des signes qui m'ont rappelé l'épisode de Yambuku», explique Jean-Jacques Muyembe. Menant l'enquête, il découvre que la contamination «a eu lieu en salle d'opération, donc avec le sang du malade».

Comprendre que le virus se transmet par les fluides corporels constitue une étape clé.

«À partir de ce moment, nous avons mis au point des stratégies de lutte contre la maladie, en isolant les malades, en suivant leurs contacts, en mobilisant les communautés. Ce sont ces stratégies qui sont aujourd'hui pratiquées par l'Organisation mondiale de la santé».

L'équipe du professeur Muyembe se lance également dans une tentative de sérothérapie. «On a pris le sang de convalescents d'Ebola et on l'a injecté à huit malades. Sept ont survécu, alors que le taux de mortalité était en général de 80 %».

Cette piste de traitement, un temps abandonnée, redevient aujourd'hui l'une des principales étudiées.

«Ebola peut frapper n'importe où»

Malgré son expérience, le professeur Muyembe a été «surpris» par la propagation fulgurante du virus qui a ressurgi fin 2013 en Guinée forestière.

«Dans notre esprit, les épidémies d'Ebola étaient vite maîtrisées», dit-il en rappelant que la RDC avait déjà fait face à sept épidémies.

Mais «ces pays croyaient qu'Ebola, c'était pour l'Afrique centrale et l'Afrique de l'Est. Ils n'étaient pas préparés.»

L'épidémie est désormais «finie» en Sierra Leone et sera bientôt «jugulée» au Liberia, estime le Pr Muyembe, qui revient de ces pays.

Reste le problème de la Guinée, «où de nouveaux cas apparaissent», souligne-t-il. «Il faut retrouver les derniers cas, même cachés au fond de la forêt, parce que si la maladie devient endémique, ce sera terrible pour le monde entier.»

«Dans dix ans, dans 20 ans, cette épidémie va revenir, et il faut qu'on soit préparés», avertit-il. «Ebola peut frapper n'importe où, nous devons être vigilants. Les États-Unis, l'Europe doivent comprendre que leur écran, c'est l'Afrique.»

Le prix Christophe Mérieux, doté de 500 000 euros (plus de 680 000 $), est «un booster», qui va lui permettre de rechercher le «réservoir» du virus. «Singes, chauves-souris, on n'est pas sûrs», rappelle le Pr Muyembe.

«Ma carrière, je l'ai passée en RDC, malgré tous les conflits que mon pays a connus», souligne le chercheur. Pour lui, ce prix est aussi un encouragement aux jeunes qu'il envoie se former «dans le monde entier» à revenir travailler sur le continent.

«Il faut équiper les laboratoires, les centres de recherche en Afrique, plaide-t-il. Pour que, si le danger est là, on l'arrête à temps. C'est la leçon que nous devons tirer de cette épidémie».