Un an après la notification officielle par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) de l'épidémie Ebola, au moins 24 000 personnes ont été infectées, plus de 10 000 sont mortes et les humanitaires s'interrogent: aurait-on pu en sauver davantage?

Dans un rapport publié lundi, Médecins sans frontières (MSF) fustige l'OMS, accusée d'avoir ignoré ses appels à l'aide et tardé à réagir. Lorsqu'elle décrète en août une «urgence de santé publique mondiale», «plus d'un millier de personnes étaient déjà mortes», déplore l'organisation non gouvernementale, accusant à demi-mot l'institution de Genève d'avoir réagi seulement «quand Ebola est devenue une menace pour la sécurité internationale».

«L'OMS aurait dû combattre le virus, pas MSF», résume Christopher Stokes, directeur général de l'ONG.

Pour autant, Médecins sans frontières s'interroge aussi sur sa propre intervention dans les pays touchés (Liberia, Guinée et Sierra Leone).

L'ONG a mis en oeuvre des moyens colossaux avec plus de 1300 expatriés et 4000 employés locaux, la formation de 800 volontaires et 250 d'autres organisations, la création de plusieurs centres dont un de 250 lits.

Mais ce combat a impliqué des choix traumatisants pour les équipes. Fin août, par exemple, le camp Elwa 3 de Monrovia n'ouvrait plus que 30 minutes par jour, ne laissant entrer que quelques patients venus remplacer ceux morts pendant la nuit.

«Nous ne pouvions offrir que des soins palliatifs très basiques et il y avait tellement de patients et si peu de personnel que le personnel n'avait en moyenne qu'une minute par patient. C'était une horreur indescriptible», décrit une humanitaire citée dans ce rapport.

2547 patients de MSF sont décédés. «Même dans la plupart des zones de guerre, perdre autant de patients en si peu de temps c'est du jamais-vu», selon ce rapport.

«Le personnel médical n'était pas préparé à faire face à une situation où au moins 50% de leurs patients meurent d'une maladie pour laquelle il n'existe aucun traitement», constate MSF.

En décembre, des pontes de l'ONG opèrent une violente autocritique, évoquant une «forme institutionnalisée de non-assistance de personnes en danger de mort». En contenant l'épidémie, les soignants en auraient oublié les patients. Leur lettre ouverte provoque un débat interne houleux.

Traitements expérimentaux  

«Il y avait de larges marges d'amélioration. Dans beaucoup d'endroits il était possible de faire des réhydratations, des antibiothérapies, qui auraient permis de sauver un certain nombre de patients», selon Rony Brauman, ex-président de MSF et professeur à Sciences-Po.

Le protocole de sécurité pour limiter les risques de contamination, avec combinaison obligatoire, bottes et gants, rendait difficiles certains soins, comme les intraveineuses.

«Il y a de grandes leçons à tirer», reconnaît Isabelle Defourny, directrice des programmes de l'ONG Alima, qui a ouvert un centre en Guinée à l'automne, «par exemple dans la façon dont on monte les centres, on peut mettre en place des couloirs en plexiglas qui permettent d'isoler les patients mais de les voir sans porter la combinaison».

«On aurait pu utiliser plus de traitements expérimentaux à titre compassionnel, effectuer plus d'analyses biologiques pour mieux connaître la maladie, plus de réanimation...», égrène-t-elle.

Elle remarque aussi que «les soignants locaux étaient très à risque et particulièrement décimés» à la différence des Occidentaux qui, en cas de contamination, ont été soignés en Occident et «il n'y a pratiquement pas eu de mortalité». Chez MSF, vingt-huit membres ont été contaminés et 14 sont décédés, tous employés localement.

Mais «la nouveauté» et «l'ampleur» d'Ebola ont joué contre les humanitaires, nuance Isabelle Defourny.

Jusque-là, «il y avait globalement peu de gens expérimentés sur Ebola», souligne le médecin Hilde De Clerck, spécialiste des fièvres hémorragiques à MSF Belgique.

L'explosion du nombre de cas, en particulier à l'été 2014, et leur dispersion géographique a fait qu'à un certain moment, «on a atteint nos limites», dit-elle. «On est juste une ONG.»

Si l'épidémie a faibli, il reste du travail aux humanitaires, avec les systèmes de santé des pays touchés par Ebola, «déjà pas très forts et aujourd'hui à terre», selon Isabelle Defourny, et de l'espoir, notamment avec les premiers résultats encourageants de l'antiviral japonais favipiravir.