La présidente par intérim du Kirghizistan a reconnu vendredi que les violences interethniques avaient fait probablement près de 2000 morts -dix fois plus que le bilan officiel- à l'occasion d'une visite dans le Sud du pays ravagé par les affrontements.

L'Organisation mondiale de la Santé a, elle, indiqué que les émeutes des jours derniers auraient «affecté directement ou indirectement» un million de personnes dans cette ancienne république soviétique d'Asie centrale.

Ces chiffres -300 000 réfugiés et 700 000 déplacés à l'intérieur du pays- constituent «le pire scénario», a confié à l'AFP Giuseppe Annunziata, coordonnateur du programme d'aide d'urgence de l'OMS.

Le sous-secrétaire d'Etat américain chargé de l'Asie centrale et du Sud, Robert Blake, a exigé une «enquête indépendante» et enjoint le Kirghizistan de faire «cesser les violences qui entraînent un flot de réfugiés» en Ouzbékistan, pays voisin où il effectuait une visite.

Le président ouzbek, Islam Karimov, a attribué ces violences à «une tierce partie» voulant provoquer un conflit entre son pays et le Kirghizistan.

«Ni les Ouzbeks ni les Kirghiz ne sont à blâmer, car ces évènements sanglants ont été organisés par une tierce partie», a déclaré le président Karimov cité par l'agence russe RIA Novosti.

«Ceux qui ont organisé cette provocation veulent entraîner l'Ouzkékistan dans ce conflit, mais l'Ouzbékistan ne s'impliquera jamais dans de tels conflits en territoire étranger et ne le permettra pas», a-t-il ajouté.

Auparavant, la présidente par intérim kirghize, Rosa Otounbaïeva, avait rencontré des habitants à Och, deuxième ville du pays particulièrement touchée par les violences.

Portant un gilet pare-balles, Mme Otounbaïeva a atterri en hélicoptère et s'est exprimée devant un petit nombre de personnes sur la place centrale: «Je suis venue ici pour parler avec les gens et écouter ce qu'ils disent sur ce qui s'est passé».

Avant de quitter la capitale Bichkek, Mme Otounbaïeva a reconnu que le nombre de victimes des violences était nettement supérieur au bilan officiel, comme l'avaient déjà indiqué à l'AFP des habitants des régions dévastées.

«Je multiplierais par dix les chiffres officiels» qui font état de 192 morts et plus de 2000 blessés, a-t-elle déclaré au quotidien russe Kommersant.

Au cours d'une réunion avec des représentants de la société civile à Och, elle a atténué ses propos en disant que le bilan final serait «au minimum plusieurs fois supérieur» aux chiffres officiels.

«Ce n'est pas qu'on cache la vérité, c'est qu'on n'a pas non plus les chiffres. Les gens ont enterré et enterrent les corps sur place», sans le signaler aux autorités, a expliqué Mme Otounbaïeva.

Interrogée sur les conflits entre Kirghiz et la minorité ouzbèke de ce pays de 5,3 millions d'habitants, elle a reconnu que les tensions étaient «toujours élevées» et qu'il y avait déjà eu «par le passé des échauffourées. Mais on a cru que la situation allait tenir», a-t-elle dit.

Historiquement, les relations entre les deux communautés sont tendues, notamment en raison de disparités économiques. Dans les années 1990, des affrontements interethniques avaient fait des centaines de morts dans la région d'Och.

De retour à Bichkek dans la soirée, Mme Otounbaïeva a déclaré à la radio nationale que des troupes russes allaient protéger certaines installations stratégiques du pays. Le ministère russe de la Défense a confirmé une demande en ce sens mais a indiqué que la décision n'avait pas encore été prise.

De son côté, le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a demandé au gouvernement kirghiz provisoire de mener une enquête «exhaustive et transparente» sur ces violences.

Deux ONG, l'institut d'analyse des conflits International Crisis Group (ICG) et l'organisation de défense des droits de l'Homme Human Rights Watch (HRW), ont annoncé avoir écrit au Conseil de sécurité de l'ONU pour lui demander des «mesures immédiates», afin de régler cette situation, «une menace importante à la paix et la sécurité internationales».

L'ONU a par ailleurs lancé vendredi auprès des pays donateurs un appel de fonds d'urgence de 71 millions de dollars pour l'aide humanitaire au Kirghizistan.

A Londres, Maxim Bakiev, le fils du président kirghiz déchu Kourmanbek Bakiev a déposé une demande d'asile au Royaume-Uni, selon ses avocats.

Mais Londres avait indiqué jeudi qu'il pourrait examiner une demande d'extradition de Maxim Bakiev, réclamé par le gouvernement temporaire kirghiz.