L'Ukraine a placé jeudi ses troupes en état alerte le long de la ligne de démarcation avec la Crimée, à la suite d'un brusque regain de tension avec la Russie, qui a affirmé avoir déjoué des «attentats» fomentés selon elle par Kiev sur la péninsule annexée en 2014.

Plus de deux ans après le rattachement de ce territoire ukrainien à l'issue d'un référendum jugé illégal par les Occidentaux, les accusations russes ont poussé les deux pays à muscler leurs dispositifs militaires dans la zone, au risque de faire dérailler les efforts de résolution pacifique de la crise ukrainienne.

«J'ai ordonné à toutes les unités dans les régions situées au niveau de la frontière administrative avec la Crimée et le long de la ligne de front dans le Donbass (est de l'Ukraine) de se mettre en état d'alerte», a annoncé le président ukrainien Petro Porochenko sur Twitter.

Quelques heures auparavant, c'est Vladimir Poutine qui, après avoir accusé les autorités ukrainiennes d'être «passées à la terreur», réunissait le Conseil de sécurité russe.

«Des mesures supplémentaires ont été discutées pour assurer la sécurité des citoyens et les infrastructures vitales de la Crimée», a précisé le Kremlin dans un communiqué.

Un responsable de l'OTAN a déclaré que l'Alliance suivait «de près et avec inquiétude» la situation.

«Nous sommes rassurés par la condamnation résolue par l'Ukraine du terrorisme sous toutes ses formes», a déclaré à l'AFP ce responsable qui n'a pas souhaité être nommé.

«La Russie n'a fourni aucune preuve tangible de ses accusations contre l'Ukraine», a-t-il ajouté.

Mouvements de troupes

Les services de renseignement russes accusent Kiev d'avoir organisé plusieurs incursions de «saboteurs-terroristes» qui se sont soldées par des affrontements armés et ont coûté la vie, selon Moscou, à un agent du FSB (ex-KGB) et à un militaire russe.

Selon le FSB, un premier groupe a été intercepté près de la ville d'Armiansk en Crimée dans la nuit du 6 au 7 août, et 20 engins explosifs ont été saisis. Deux autres groupes ont été interceptés la nuit suivante, alors qu'ils étaient appuyés par des tirs de l'armée ukrainienne, selon la même source.

Ces accusations, dont le Conseil de sécurité de l'ONU devait discuter jeudi, ont été rejetées par Kiev et mises en doute par les États-Unis et l'OTAN.

L'armée ukrainienne a accusé Moscou de vouloir «justifier le redéploiement et les actes agressifs des militaires russes» en Crimée.

Moscou a affirmé avoir arrêté un officier du renseignement militaire ukrainien, Evguen Panov. Kiev l'a qualifié d'«otage». La télévision russe a montré des images présentées comme celles de l'interrogatoire de cet homme, qui présentait des coupures et des traces de coups au visage et au bras.

Il a déclaré avoir été recruté par le renseignement militaire ukrainien pour s'attaquer à un ferry, une base d'hélicoptères, un dépôt de pétrole et une usine chimique.

Interrogés par l'AFP, plusieurs habitants de la péninsule vivant près de la frontière ukrainienne ont rapporté avoir constaté d'importants mouvements de véhicules militaires ces derniers jours dans la zone.

Les États-Unis, via leur ambassadeur en Ukraine Geoffrey Pyatt, ont indiqué n'avoir «rien vu corroborant les allégations russes», accusant Moscou d'utiliser «fréquemment de fausses accusations pour détourner l'attention de ses actes illégaux».

Dans un communiqué, le ministère russe des Affaires étrangères a répliqué que les soutiens occidentaux de Kiev feraient mieux de «faire preuve de bon sens», et a réaffirmé que la mort de militaires russes ne resterait pas «sans conséquences».

Lors d'un entretien téléphonique avec son homologue français Jean-Marc Ayrault, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a appelé les Occidentaux à mettre en garde Kiev «contre des mesures dangereuses qui pourraient avoir les conséquences les plus négatives», selon son ministère.

Le processus de paix remis en cause

Un responsable de haut niveau au sein des services de sécurité ukrainiens a indiqué à l'AFP que l'Ukraine se préparait «à tout», jugeant «possible» une invasion russe. «C'est une escalade, bien sûr», a-t-il estimé.

Ces échanges constituent l'une des plus fortes montées de fièvre entre Moscou et Kiev, à couteaux tirés depuis l'arrivée au pouvoir de pro-occidentaux en Ukraine début 2014.

Outre l'annexion de la Crimée, un conflit a alors éclaté avec des séparatistes prorusses dans l'Est de l'Ukraine, appuyés selon Kiev et les Occidentaux par l'armée russe. Ce conflit a déjà fait plus de 9.500 morts.

Mercredi, Vladimir Poutine a estimé que dans ce contexte, une nouvelle rencontre prévue début septembre au «format Normandie», c'est-à-dire avec M. Porochenko, le président français François Hollande et la chancelière allemande Angela Merkel, n'avait «aucun sens».

C'est par cette médiation qu'avaient été conclus en février 2015 les accords de Minsk pour un règlement politique du conflit, qui n'ont abouti jusqu'à présent qu'à une baisse d'intensité des combats dans l'Est de l'Ukraine.

Washington «extrêmement inquiet»

Les États-Unis se sont déclarés jeudi «extrêmement inquiets» du regain de tensions entre la Russie et l'Ukraine le long de la ligne de démarcation de la Crimée et ont appelé les deux camps à éviter toute «escalade».

«Il est maintenant temps de réduire les tensions (...) et de retourner aux discussions», a mis en garde la porte-parole du département d'État Elizabeth Trudeau, après que Kiev eut placé ses troupes en état alerte le long de la ligne de démarcation de la Crimée annexée par la Russie en 2014.