La crise ukrainienne tourne au casse-tête pour Vladimir Poutine, pris entre des sanctions occidentales plus sévères que prévu pour son soutien aux séparatistes prorusses, et une opinion publique qu'il ne peut décevoir sur le sujet après l'avoir galvanisée pendant des mois, estiment les analystes.

Le président russe a longtemps, et savamment, joué des divisions au sein de l'Union européenne et notamment des réticences de l'Allemagne à punir de façon significative la Russie, dont elle est le premier partenaire commercial.

Mais la destruction en vol du Boeing assurant le vol MH17 de Malaysia Airlines le 17 juillet par un missile vraisemblablement tiré par des séparatistes prorusses selon Kiev et Washington, qui a fait 298 morts dont 193 Néerlandais, a poussé cette semaine l'UE à prendre des sanctions économiques sans précédent contre Moscou, accusé d'armer la rébellion.

Entrées en vigueur vendredi, ces sanctions interdisent pour au moins trois mois aux principales banques d'État russes l'accès aux marchés de capitaux européens, et imposent un embargo sur les ventes d'armes et de certains équipements pétroliers à la Russie.

«Dans l'immédiat, ces sanctions n'obligent pas Poutine à changer de politique en Ukraine, mais à long terme, peut-être», estime l'analyste Konstantin Kalatchev.

Dans un pays déjà au bord de la récession, «si la population ressent massivement l'effet des sanctions, et si cela pèse sur la popularité de Poutine, alors cela peut jouer. Le pouvoir russe dépend énormément de la popularité de Poutine», poursuit le chef du centre d'analyse «Expert Politique».

Or, le soutien politique affiché par Poutine aux séparatistes russophones d'Ukraine - le Kremlin se défend de toute aide directe -, largement relayé par les médias proches du pouvoir, contribue à l'exceptionnelle popularité de l'homme fort de la Russie depuis 2000 - plus de 80% d'opinions favorables -.

«Poutine est dans une situation difficile» 

«Poutine est dans une situation difficile», confirme une autre analyste, Maria Lipman. «S'il ne change pas de politique, les sanctions vont s'aggraver. Il tente de manoeuvrer de façon à ce que cela ne ressemble pas à une reculade. Mais si elle n'est pas nulle, sa marge de manoeuvre est très réduite».

Bien malin qui aura pu décrypter, à ce propos, l'hommage très calibré rendu vendredi par Vladimir Poutine aux soldats russes de la première guerre mondiale. Le chef de l'État a dénoncé «la réticence à s'écouter les uns les autres», en 1914 comme aujourd'hui. Mais «parce que la Russie n'a pas été écoutée» à l'époque, «elle a dû voler au secours de ses frères slaves, se défendant elle-même et défendant ses citoyens d'une agression étrangère», a souligné le président dans un parallèle implicite avec les tensions actuelles.

Sur le terrain, le soutien aux séparatistes ukrainiens en provenance du territoire russe «s'est accru», s'est inquiété vendredi le président américain Barack Obama, dans une conversation téléphonique avec son homologue russe.

Mais Vladimir Poutine sait aussi qu'un quart seulement de la population russe soutiendrait une intervention militaire directe de la Russie en Ukraine, selon un récent sondage. Les centaines de manifestants qui ont défilé samedi à Moscou pour exhorter le maître du Kremlin à envoyer l'armée en «Nouvelle Russie» - les régions ukrainiennes sous contrôle indépendantiste, telles qu'elles sont appelées par les nationalistes - incarnent donc à ce jour un courant minoritaire.

Comme dans toute crise dans laquelle les enjeux montent dangereusement, les États-Unis et l'Union européenne sont confrontés au même dilemme que M. Poutine : trouver une issue sans perdre la face, pour arrêter l'escalade.

Le quotidien britannique The Independent a évoqué un plan germano-russe à l'étude, prévoyant une sécurisation des frontières de l'Ukraine et de son approvisionnement énergétique par la Russie, en échange d'une reconnaissance internationale du rattachement de la Crimée à la Russie - s'attirant un démenti catégorique de Berlin -.

«Le conflit en Ukraine s'aggrave, et le risque existe de son internationalisation. L'Occident a les moyens de faire du tort à la Russie, mais il ne peut pas mettre un terme à la guerre sans la Russie. Donnera-t-il sa chance pour cela à Poutine?» s'interroge Mme Lipman.

Un élément clé du puzzle réside dans les conclusions auxquelles parviendront les experts internationaux qui ont commencé en fin de semaine à travailler sur le site sur lequel sont tombés les débris du Boeing malaisien, pour tenter d'identifier les responsables du drame.

Vladimir Poutine a toujours méticuleusement pesé son soutien aux rebelles ukrainiens prorusses. Si la responsabilité de ces derniers dans cette catastrophe aérienne vient à être établie, «c'est un poids qu'il ne pourra prendre sur lui. Le prix en serait trop élevé. Il les reniera», estime Andrei Kolesnikov, un des journalistes russes qui connaissent sans doute le mieux M. Poutine.