Le soutien de Moscou aux séparatistes prorusses en Ukraine est revenu à l'avant-plan, hier, moins de vingt-quatre heures après que 298 personnes eurent péri dans l'attaque contre le vol MH17 de la Malaysia Airlines et l'écrasement dans l'est de l'Ukraine de l'avion.

À Washington, le président Barack Obama a dit que l'appareil avait été abattu par un missile sol-air «tiré à partir d'un lieu contrôlé par les rebelles séparatistes» appuyés par la Russie. Le président Obama a accusé le pays de soutenir le conflit dans l'est de l'Ukraine.

«Nous savons que les séparatistes sont lourdement armés et qu'ils sont entraînés. Tout cela est rendu possible grâce au soutien de la Russie. Les séparatistes ne peuvent pas abattre des avions militaires sans l'équipement sophistiqué et l'entraînement poussé qui vient de la Russie», a lancé le président américain, appelant les forces en présence à établir un cessez-le-feu afin de permettre aux enquêteurs internationaux d'analyser le lieu de l'écrasement.

«Les yeux du monde sont tournés vers l'est de l'Ukraine», a dit le président.

Près de la ville de Donetsk, des séparatistes prorusses lourdement armés ont bloqué l'accès au lieu de l'écrasement aux 30 inspecteurs de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) dépêchés sur place hier, tirant des coups de feu de semonce pour les tenir à l'écart.

«Nous allons revenir [samedi], et le jour suivant, et le jour suivant, a déclaré Michael Bociurkiw, porte-parole de l'OSCE. [Samedi] sera un jour-clé. Il y a plusieurs experts des Pays-Bas et de la Malaisie qui se rassemblent à Kiev ainsi que plusieurs proches des victimes. Les corps sont en train de gonfler et de se décomposer. Une équipe d'experts est clairement nécessaire. Il y a beaucoup de travail à faire, et très peu de temps pour le faire», a-t-il dit, ajoutant qu'il ignorait où se trouvent les boîtes noires de l'appareil.

Le FBI et des enquêteurs de l'U.S. National Transportation Safety Board sont en route vers les lieux de l'écrasement afin de participer à l'enquête.

Appel des Nations unies

Plus tôt, l'ambassadrice des États-Unis aux Nations unies, Samantha Power, a déclaré lors d'une réunion extraordinaire du Conseil de sécurité que la Russie devait agir pour faire baisser les tensions dans la région.

«La Russie peut mettre fin à cette guerre. La Russie doit mettre fin à cette guerre», a-t-elle lancé.

Pour le politologue Sergiy Kudelia, de l'Université Baylor au Texas, spécialiste de l'Europe de l'Est, la tragédie du vol MH17 a pour conséquence immédiate d'isoler Moscou.

Les pays européens qui doutaient de la pertinence d'imposer des sanctions sévères à la Russie risquent d'être plus attentifs aux arguments pro-sanctions, dit-il en entrevue.

«Le gouvernement américain soutient depuis longtemps que la Russie n'est pas sérieuse lorsqu'elle parle de paix en Ukraine, car elle permet aux mercenaires et aux armes de franchir sa frontière comme bon leur semble. Certains leaders européens, comme l'Italie et la France, ne prenaient pas cela trop au sérieux.

« Après ce qui vient de se passer, poursuit-il, toute la pression est désormais sur la Russie, qui devra démontrer hors de tout doute qu'elle veut stopper les incursions à la frontière.»

Un jour après avoir accusé le gouvernement ukrainien d'être seul responsable de cette tragédie, le président russe Vladimir Poutine a appelé, hier, les forces en présence à déposer les armes dans l'est de l'Ukraine.

«Des pourparlers directs entre les côtés opposés doivent être établis aussitôt que possible», a-t-il déclaré.

Hier, le chef des rebelles prorusses de Donetsk, Aleksandr Borodai, a dit à l'AFP qu'un cessez-le-feu dans la région était hors de question. Le service de presse a rapporté que «des milliers» d'habitants quittaient la ville, craignant une «pluie de bombes» de l'armée ukrainienne, qui parachève l'encerclement de Donetsk.

M. Kudelia note que «toutes les preuves indirectes pointent vers les séparatistes prorusses» qui ont abattu l'avion de ligne par erreur, croyant qu'il s'agissait d'un avion ukrainien.

«En plus, nous savions depuis la fin juin que la fédération russe avait fourni des missiles sol-air aux rebelles et qu'elle les a formés au maniement de ces armes. L'OTAN avait déjà parlé de cette menace publiquement.»

Un Canadien à bord

Au moins 189 des victimes du vol MH17 venaient des Pays-Bas. Un total de 29 Malaisiens, 28 Australiens, 12 Indonésiens, 9 Britanniques, 4 Allemands, 4 Belges, 3 Philippins, 1 Canadien, 1 Néo-Zélandais et 1 Hongkongais se trouvaient à bord de l'appareil, selon le transporteur et les différents gouvernements. La nationalité de deux autres passagers restait encore à confirmer.

Le Canadien à bord était Andrei Anghel, un étudiant en médecine ontarien de 24 ans. Oxana Shevel, spécialiste des zones postcommunistes et professeure associée au Département de sciences politiques de l'Université Tufts, près de Boston, doute que l'isolement de Poutine au lendemain de l'attaque ait un quelconque effet sur ses actions.

«Encore et encore, lorsqu'il est isolé, Poutine se cambre et se lance encore plus loin dans ses politiques, dans ses actions, dit-elle en entrevue. Les Américains et les Européens espèrent que cette tragédie lui fera enfin voir la lumière, mais j'en doute. Tout dépend de la réaction des pays européens. Il faudra voir si, finalement, ils sont prêts à imposer des sanctions qui font mal à la Russie.»

Le traitement de la nouvelle de l'écrasement du vol MH17 par les médias russes a aussi retenu l'attention hier: alors que les journaux du monde ont consacré leur une à la nouvelle, le Rossiyskaya Gazeta, propriété du gouvernement russe, a plutôt mis à l'avant-plan une histoire sur les habitudes alimentaires des Russes. D'autres journaux russes ont parlé des nouvelles sanctions américaines imposées à Moscou.

Sara Firth, correspondante du réseau RT (Russia Today) à Londres, a remis sa démission hier, affirmant ne plus vouloir «mentir» à ses auditeurs. «J'ai remis ma démission à RT. J'ai un grand respect pour plusieurs membres de mon équipe, mais je suis pour la vérité», a-t-elle écrit sur Twitter.

Mme Firth a par la suite expliqué que, sur les dossiers délicats, le réseau n'accordait pas d'importance aux faits et fonctionnait selon la devise «L'Ukraine est toujours coupable.» Elle travaillait pour la chaîne financée par le gouvernement de Moscou depuis 2009.

PHOTO TIRÉE DE TWITTER

Andrei Anghel est décédé dans l'écrasement du vol MH17.

Système de missiles sol-air: une expertise militaire nécessaire

Les experts pensent qu'un système sol-air Bouk de fabrication russe a servi à lancer le missile qui a abattu l'appareil de Malaysia Airlines (vol MH17) au-dessus de l'Ukraine. Sauf que l'utilisation d'un équipement du genre n'est pas à la portée du premier venu. C'est un appareillage lourd et complexe qui permet d'atteindre des cibles jusqu'à 22 000 mètres d'altitude. Il faut trois camions pour l'utiliser: l'un abrite le poste de commandement et le deuxième, le radar, le dernier servant à tirer les missiles.

Selon Igor Sutyagin, spécialiste militaire russe au Royal United Service Institute à Londres, une expertise militaire était nécessaire pour effectuer le lancement. «Il faut au moins six à sept personnes très bien entraînées pour opérer un tel système», explique-t-il en entrevue à La Presse. «Ce sont des équipements spécialisés qui font généralement partie d'un ensemble de défense antiaérienne», ajoute Rémi Landry, professeur associé à l'Université de Sherbrooke et lieutenant-colonel à la retraite.

Les systèmes Bouk sont assez répandus. L'Ukraine en possède de six à huit, selon un spécialiste interrogé par l'Agence France-Presse. La Russie en détient un plus grand nombre encore. Selon Rémi Landry, tout porte à croire que l'attaque du vol MH17 était une erreur. «Il est à peu près impossible de faire une telle erreur avec un système aussi sophistiqué que le Bouk.»

Pour Igor Sutyagin, les rebelles prorusses n'ont pas l'expertise pour utiliser un tel armement. Ils auraient eu besoin d'une aide extérieure. «Je suis convaincu qu'il s'agit d'une erreur. Ceux qui ont lancé ce missile ne savaient pas qu'ils visaient un avion civil. Plusieurs indices pointent dans cette direction.»

- Éric-Pierre Champagne, avec l'Agence France-Presse