Au lendemain de l'élection du magnat du chocolat Petro Porochenko à la présidence de l'Ukraine, la guerre s'est intensifiée entre Kiev et les séparatistes de l'Est. Au coeur du cyclone: l'aéroport international de Donetsk.

Un cri de femme s'échappe de la gare ferroviaire de Donetsk. Elle hurle de douleur, derrière la porte vitrée du terminal. À quelques dizaines de mètres de là, un corps recouvert d'un drap taché de sang git sur le sol. Un homme a été pris au milieu des tirs en milieu d'après-midi, hier, alors que des hélicoptères de l'armée ukrainienne survolaient la gare.

«C'est un Ukrainien pacifique qui a été touché par une balle alors qu'il parlait au téléphone», laisse tomber un témoin, alors que la police dresse un cordon sanitaire autour du cadavre.

L'homme était un employé du stationnement de la gare, selon le journal Kiyv Post. Il est la première victime civile de la reprise de l'offensive militaire du gouvernement ukrainien contre les rebelles qui contrôlent une grande partie du Donbass - le vaste bassin minier de l'est de l'Ukraine.

Tous s'attendaient, ici, à ce que Kiev intensifie son opération militaire contre les insurgés séparatistes au lendemain de l'élection présidentielle de dimanche.

Le milliardaire Petro Porochenko, qui a remporté le vote dès le premier tour, a tendu la main au Donbass dès l'annonce de sa victoire, promettant de s'y rendre dès sa prestation de serment, début juin. Une promesse qui marque un changement de ton de la part de la capitale: depuis le départ de l'ex-président Viktor Ianoukovitch, en février, aucun dirigeant ukrainien n'a daigné se présenter dans cette région à majorité russophone, en rupture de ban avec Kiev.

Mais le président élu a du même coup haussé le ton face aux milices «qui veulent transformer le Donbass en Somalie». Et a annoncé une reprise de «l'opération antiterroriste» de Kiev. Les rebelles n'ont pas tardé à lui montrer qu'il n'était pas le bienvenu dans la région.

La bataille de l'aéroport

Peu avant l'aube, hier, des dizaines d'hommes lourdement armés ont investi le terminal de l'aéroport international de Donetsk, sans qu'un seul coup de feu n'ait été échangé. Ils ont réclamé le départ des troupes ukrainiennes protégeant l'aéroport.

Aucun employé ni passager n'était présent à l'aéroport, hier matin, a fait savoir le porte-parole Denis Kosinov, qui multipliait les entrevues sur un terrain vague près de l'aéroport. À 7h, tous les vols ont été annulés, pour une durée de toute évidence indéterminée.

Vers 10h, d'autres hommes armés, que certains identifient comme des «Tchétchènes», sont arrivés en renfort à bord de trois camions. Ils ont pénétré eux aussi sans problème sur le territoire de l'aéroport.

«Jusqu'à maintenant, l'aéroport n'était pas sous notre contrôle, et il y avait des livraisons suspectes et des arrivées de contingents militaires», a expliqué le leader de la «République populaire de Donetsk», Denis Pouchiline, en conférence de presse dans le bâtiment administratif occupé par les rebelles.

«Cette situation n'est pas correcte, des hommes armés entrent sur notre territoire et nous croyons que ça doit changer», a ajouté le chef prorusse, admettant du même coup que des «volontaires venus de l'étranger» combattent bel et bien aux côtés des insurgés.

Au moment où Denis Pouchiline annonçait l'entrée en vigueur d'une loi martiale, dont la portée reste floue, les forces spéciales ukrainiennes lançaient leur assaut, soulevant des colonnes de fumée noire au-dessus de l'aéroport. Toutes les routes vers l'aéroport étaient bloquées. L'armée a déployé parachutistes et avions de combat, tandis que des rafales de tirs et des détonations retentissaient dans les quartiers voisins de l'aéroport. Plusieurs rebelles ont dû se replier, mais la bataille de l'aéroport n'était toujours pas terminée, hier soir.

Des combats avaient également lieu à Slaviansk, la ville assiégée qui sert de base arrière aux rebelles, et où ils ont accès à un petit aéroport militaire - d'où son importance stratégique. Les habitants de Slaviansk ont reçu l'ordre de ne pas sortir de chez eux. Un hôpital psychiatrique de la ville s'est retrouvé dans la ligne de tir de l'armée, selon des journalistes qui s'y trouvaient au moment de l'attaque.

Les échanges de tir près de la gare à Donetsk ont provoqué un arrêt du trafic ferroviaire, mais les trains se sont remis en marche en fin d'après-midi.

La situation dans la ville était confuse pendant une bonne partie de la journée. Plusieurs magasins étaient fermés, mais exception faite de ces combats périphériques, dont l'écho ne se rendait pas jusqu'au centre-ville, la vie se poursuivait normalement, et les seules détonations que l'on a pu entendre hier en début de soirée étaient celles du tonnerre.

N'empêche: il y avait une atmosphère de fin de récréation dans l'air. Comme l'a résumé un observateur étranger: «Les relations publiques sont terminées, maintenant, c'est pour de vrai.»