Ils sont quatre gars en tenue de camouflage à lancer des morceaux de ciment concassé par-dessus la barrière de sacs de sable.

«Celui qui touchera l'auto aura une médaille», dit leur commandant, un vétéran de l'armée soviétique, en montrant du doigt une voiture rouge, de l'autre côté de la barricade.

«On s'exerce à lancer des grenades», explique un des soldats en formation, Alekseï. Tous portent un uniforme vert, sauf lui: le sien est bleu. C'est l'ancien vêtement de fonction de son ami Serioja, policier antiémeute tué dans les affrontements de Kiev, en février.

Comme beaucoup de jeunes de sa région dévastée par le chômage, Alekseï rêvait lui aussi de devenir «berkout» (policier antiémeute). Mais il s'est plutôt enrôlé dans la Garde nationale de Lougansk, groupe paramilitaire qui chapeaute plusieurs bataillons sécessionnistes dans cette ville de l'est de l'Ukraine.

Nous avons rencontré Alekseï dans un camp dressé au coeur de Lougansk, capitale de l'une des deux provinces sécessionnistes du Donbass, la région minière en rupture de ban avec Kiev.

Le camp occupe un parc devant l'immeuble de la Sécurité, pris par les rebelles. Il y a des tentes de toile, des cuisines improvisées, des affiches contre les «fascistes de Kiev», une télé qui diffuse un discours de Vladimir Poutine.

La moitié des gens qui viennent ici sont des civils, l'autre moitié, des membres de l'une ou l'autre des milices. Pas un seul des hommes armés ne porte un masque: ils sont ici chez eux.

Alekseï a 19 ans. Quand il était petit, l'État l'a enlevé à la garde de ses parents. Cet ouvrier de la construction protège l'une des entrées du camp. Est-il payé pour ce boulot? Il jure que non.

Pourquoi donc Alekseï a-t-il décidé de se joindre aux insurgés? «Pour venger mon ami...»

Un meilleur avenir

Hier, à Lougansk, nous avons parlé avec plusieurs de ces jeunes qui, comme Alekseï, ont décidé de se battre pour un État autoproclamé où ils sont convaincus de pouvoir trouver un meilleur avenir.

Des gars comme Igor, 24 ans, dont la mère, infirmière, élève seule deux enfants avec un salaire ridicule: 120$ par mois.

Sans travail, Igor est monté dans le train sécessionniste dès février. Son rôle: placer les balles dans les chargeurs des fusils automatiques. Il vient de passer deux semaines à Slaviansk, ville assiégée par l'armée ukrainienne. «C'était terrible.»

Il voit ce conflit comme une répétition de la Seconde Guerre mondiale. «Mon arrière-grand-père s'est battu contre les nazis, je ne veux pas avoir honte quand j'irai sur sa tombe...»

Il y a aussi Katia, 21 ans, qui s'est jointe à une brigade rebelle féminine après que son frère a été condamné pour un meurtre qu'il n'a pu commettre, selon elle. «Depuis, je ne pouvais plus dormir tranquille.»

Katia vient de la ville d'Antracit. Sa mère travaille dans une usine d'équipement minier. Le grand rêve de Katia: être élue députée de la République populaire de Lougansk.

Et puis il y a Maksim, 29 ans. Quand il était petit, sa mère a vendu tout son or pour acheter une vache. À 8 ans, c'est lui qui la menait paître.

Maksim a étudié dans un collège technique. L'an dernier, il a perdu son emploi. Il a eu un enfant, a divorcé, vit avec ses parents. Pourquoi s'est-il enrôlé avec les rebelles? Il en a contre les gens de Kiev, «qui ne comprennent rien à notre culture». La preuve, ils veulent enlever toutes les statues de Lénine, toujours nombreuses dans l'Est.

Comme les autres militants sécessionnistes, il est convaincu que les problèmes économiques de Lougansk seront résolus quand l'argent des impôts ne partira plus vers Kiev. «La carte de l'Ukraine est comme un derrière, et nous, au Donbass, on tombe juste au milieu...», dit-il en riant.

Tous ces jeunes savent bien qu'ils ne seront pas des soldats d'élite du Lougansk indépendant. «On montera des barricades, on s'occupera des blessés», imagine Alekseï.

Les soldats d'élite, eux, sont inaccessibles. Comme les membres de la brigade Oplot, qui occupe la télévision nationale à Donetsk. Ces gens-là ne parlent pas aux journalistes, ne sourient jamais.

Derrière eux, il y a une armée de prolétaires. Comme Alekseï, Igor, Katia, Maksim et les autres.

Montée de fièvre préélectorale

Le teint blême, la voix tremblante, le leader de la République autoproclamée de Lougansk, Valery Bolotov, a annoncé hier la «mobilisation générale» de tous les hommes âgés de 18 à 45 ans.

Du même coup, il a décrété la loi martiale sur le territoire de son micro-État en rupture de ban avec l'Ukraine.

L'annonce a été faite en conférence de presse, à l'hôtel de ville de Lougansk, occupé par les rebelles sécessionnistes. La raison de cette déclaration dramatique? «Ce matin, à 4 h, l'armée fasciste a commis un acte d'agression contre le peuple pacifique de la République populaire de Lougansk.»

En réalité, l'armée ukrainienne a connu hier ses pires pertes depuis le début de la crise. Mais selon les témoignages recueillis sur place par des journalistes, ce sont plutôt les rebelles qui ont attaqué un check point militaire à Volnovakha, à 50 km de Donetsk. Bilan de la journée: au moins 17 militaires ont péri aux mains des insurgés. Des combats ont opposé armée et rebelles dans deux autres points chauds de la région de Donetsk. Les insurgés ont aussi occupé quatre mines de la région.

Cette montée de tension survient à trois jours de l'élection présidentielle de dimanche, que les sécessionnistes prorusses veulent absolument empêcher dans les régions qu'ils tiennent.

PHOTO VALENTYN OGIRENKO, REUTERS

Le leader de la République autoproclamée de Lougansk, Valery Bolotov.