L'homme le plus riche d'Ukraine, homme fort dans l'Est en proie à une insurrection armée prorusse, a appelé mardi ses ouvriers à manifester contre les séparatistes, possible tournant dans la crise ukrainienne à cinq jours de la présidentielle.

Le basculement de Rinat Akhmetov, qui marchait en équilibriste sur le fil de la crise et ménageait les autorités de Kiev et les séparatistes, pourrait être lourd de conséquences dans l'Est où sa société est le premier employeur grâce à ses actifs dans la métallurgie, le charbon, la finance. Il possède également le club de soccer Shakhtar Donetsk dont les partisans jouent un rôle important dans la région.

À l'approche de la présidentielle de dimanche, un ralliement total de Rinat Akhmetov au camp des partisans de l'unité de l'Ukraine constituerait un coup dur pour les séparatistes qui contrôlent désormais en grande partie les régions de Donetsk et de Lougansk, et où des affrontements sporadiques opposent toujours soldats ukrainiens et insurgés.

«J'appelle l'ensemble de mes employés à travers le Donbass à sortir manifester pacifiquement devant les entreprises où ils travaillent», a annoncé l'homme le plus riche d'Ukraine dans un communiqué de sa compagnie System Capital Management (SCM).

«Les habitants en ont assez de vivre dans la peur et la terreur. Ils sont fatigués d'aller dans la rue et de se faire tirer dessus. Des personnes se promènent avec des armes à feu et des lance-grenades. Les villes sont le théâtre d'actes de banditisme et de pillages», a fustigé M. Akhmetov qui pèse 12,2 milliards de dollars selon le magazine Forbes.

«Qu'ont-ils fait (les séparatistes) pour notre région, quels emplois ont-ils créés? Ils combattent les citoyens de notre région. Ils luttent contre le Donbass. C'est un génocide contre le Donbass!», a-t-il martelé.

Milices non armées

Les rassemblements devant les usines, mines, entreprises énergétiques de l'oligarque sont prévus à midi (5 h à Montréal) au son des sirènes dans la ville portuaire de Marioupol, à Donetsk et dans plusieurs villes de l'Est.

«Rinat Akhmetov, enfin de l'énergie!», a réagi le ministre ukrainien de l'Intérieur, Arsen Avakov, sur son compte Facebook.

L'oligarque s'implique depuis plusieurs jours dans la défense de ses ouvriers - et de ses sites industriels - contre les séparatistes. Comme l'avait constaté récemment un journaliste de l'AFP, il avait mis en place des milices non armées, recrutées parmi ses employés, pour aider à restaurer l'ordre à Marioupol après des violences ayant fait plusieurs morts.

Soucieux de se poser en homme de paix, il avait demandé aux autorités de Kiev de mettre fin à l'opération militaire débutée le 13 avril et destinée à reprendre le contrôle de l'Est rebelle et appelé dans le même temps les prorusses à renoncer à l'indépendance et à négocier avec Kiev.

Reste à savoir si son appel à s'opposer pacifiquement aux séparatistes n'est pas tardif et si les Ukrainiens le suivront alors que la situation se tend chaque jour un peu plus dans l'Est.

De retour de Donetsk, le secrétaire général adjoint de l'ONU aux droits de l'homme, Ivan Simonovic, avait décrit lundi à l'AFP une région au «bord de l'effondrement». «Il y a déjà des pénuries, par exemple l'insuline. L'ensemble du système est, je pense, au bord de l'effondrement», avait déploré le haut responsable onusien.

«Il est effrayant de voir, dans mes discussions avec la société civile, combien d'habitants pensent à quitter la région. Et si les choses ne s'améliorent pas, nous pourrions avoir une importante vague de déplacés venant de cette région», avait-il estimé.

Les violences, qui ont fait près de 130 morts sur la seule période du 13 avril au 16 mai de l'opération «antiterroriste», pourraient empêcher le déroulement du scrutin dans les régions de Lougansk et de Donetsk.

Selon un comptage de l'AFP à partir des données de la Commission électorale, deux millions d'électeurs pourraient être privés de vote ou devoir faire plusieurs heures de route pour voter dans une région sous le contrôle des autorités de Kiev.

Départ des soldats russes

Les Occidentaux, «parrains» du mouvement de contestation de Maïdan qui a installé au pouvoir les autorités actuelles, font du scrutin une étape «cruciale» pour régler la crise qui a dégénéré en pire bras de fer diplomatique entre Russes et Occidentaux depuis la fin de la Guerre froide.

Moscou, accusé par Kiev et par les Occidentaux de tirer les ficelles dans l'Est, dément tout soutien logistique aux séparatistes armés et ironise sur l'organisation d'une présidentielle «au son des canons».

Parallèlement, Moscou continue de jouer avec les nerfs des autorités de Kiev et avec les Occidentaux. Le maître du Kremlin, Vladimir Poutine avait ordonné lundi à ses troupes massées depuis fin mars à la frontière de rentrer dans leurs casernes.