L'Ukraine a réintroduit jeudi la conscription face à la détérioration de la situation dans l'Est rebelle où des militants pro-russes se sont emparés d'un nouveau bâtiment officiel de Donetsk en brutalisant des policiers.

Jugeant que l'intégrité territoriale de l'Ukraine était menacée, le président par intérim, Olexandre Tourtchinov, a relancé la conscription supprimée il y a à peine un an «compte tenu de la dégradation de la situation dans l'Est (...), de la montée en puissance des unités armées pro-russes, de la prise de contrôle ou blocus d'administrations publiques, d'unités militaires, de communications, de transport».

Le Fonds monétaire international, qui avait voté jeudi un plan d'aide de 17 milliards de dollars a, de son côté, admis que ce plan devrait être «remanié» en cas de perte des régions de l'Est du pays.

Peu auparavant à Donetsk, principale ville de la région rebelle, le siège du Parquet régional avait été pris d'assaut en moins d'une heure par une foule de manifestants pro-russes, illustrant l'impuissance croissante des autorités ukrainiennes à assurer l'ordre dans la province en proie à des troubles.

Les policiers, qui tentaient de protéger le bâtiment, ont été frappés avant de pouvoir quitter les lieux, désarmés et pour certains en pleurs, ont constaté des journalistes de l'AFP.

Selon les médias locaux, des hommes armés et encagoulés ont pris dans la soirée le siège du Parquet de la ville de Gorlivka. Ils ont emporté les ordinateurs et brûlé des dossiers dans la cour de l'immeuble.

Les rebelles pro-russes, hostiles au pouvoir mis en place à Kiev après le renversement du président Viktor Ianoukovitch, ont continué ces derniers jours d'étendre leur emprise. Ils contrôlent désormais des sites stratégiques (mairie, siège de la police et des services de sécurité) dans plus d'une douzaine de villes.

En ce 1er mai, jour férié, les traditionnels défilés de la Fête du Travail ont donné à chaque camp l'occasion de défendre ses couleurs et ses slogans.

À Kiev, les habitants ne se sont guère mobilisés en dépit de la gravité de la crise, la pire dans ce pays de 46 millions d'habitants issu de l'Union soviétique et indépendant depuis 1991.

Seules 2000 à 3000 personnes se sont réunies dans le calme scandant des slogans en faveur de l'unité de l'Ukraine.

À Moscou, par contraste, la mobilisation a été massive et patriotique: environ 100.000 personnes ont défilé sur la place Rouge. «Je suis fier de mon pays», «Poutine a raison», proclamaient des pancartes dans la foule.

Même phénomène à Simféropol, capitale de la péninsule ukrainienne de Crimée, rattachée en mars à la Russie, où quelque 60 000 personnes ont défilé en brandissant des drapeaux russes avec des banderoles  «Nous sommes la Russie», «Poutine est notre président».

À Kharkiv (est de l'Ukraine), environ 2000 pro-russes ont défilé dans le centre en criant «l'Ukraine sans fascistes», «le russe, langue d'État».

Poutine prié d'intervenir

À Slaviansk, bastion rebelle pro-russe de l'Est ukrainien échappant depuis plus de deux semaines au contrôle de Kiev, les rebelles séparatistes retenaient toujours une équipe d'observateurs de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).

Les négociations avec des représentants de l'OSCE «se déroulent très bien», a déclaré dans la soir à la presse le maire autoproclamé de la ville, Viatcheslav Ponomarev.

Interrogé pour savoir quand 11 inspecteurs de l'OSCE pourraient être libérés, il a répondu : «pas de commentaires».

La chancelière allemande Angela Merkel a demandé plus tôt dans la journée au président Poutine de «faire usage de son influence» dans le dossier des observateurs retenus en «otages» (sept étrangers et quatre Ukrainiens) alors que les négociations semblent piétiner depuis plusieurs jours.

«Blindés en exercice à Kiev»

La bataille entre Kiev et Moscou se poursuit aussi sur les fronts militaire, économique ou diplomatique.

À Kiev, les autorités ont procédé dans la nuit de mercredi à jeudi à des exercices militaires. Des membres des unités spéciales de la garde présidentielle, à bord d'une dizaine de blindés, ont encerclé le bâtiment du Parlement, et des tireurs d'élite ont été parachutés sur le toit.

Soucieux de priver d'arguments les séparatistes, le gouvernement ukrainien a annoncé envisager un référendum sur l'unité de la nation ukrainienne et sur la décentralisation en parallèle de l'élection présidentielle anticipée du 25 mai.

La Russie a qualifié l'idée de «cynique» et répété que Kiev devait cesser de «mener des opérations militaires contre son propre peuple», en allusion à l'opération «antiterroriste» lancée par les autorités dans l'Est.

Kiev avait annoncé mercredi avoir mis ses forces armées en «état d'alerte total» pour le combat, face à la menace d'une intervention russe et pour tenter d'empêcher la propagation de l'insurrection à de nouvelles régions du Sud et de l'Est.

Moscou a mis en garde contre «des conséquences catastrophiques» en cas d'opération d'ampleur dans l'Est. Il a appelé Kiev, les États-Unis et l'Union européenne «à ne pas commettre d'erreurs criminelles».

De son côté, le ministère ukrainien des Affaires étrangères a annoncé mercredi que l'attaché militaire russe à Kiev avait été «arrêté» alors qu'il cherchait à obtenir des informations secrètes sur la coopération entre l'Ukraine et l'OTAN.

Il a été déclaré «persona non grata» et devra quitter l'Ukraine «dans les plus brefs délais».

Les Occidentaux ont, quant à eux, apporté un soutien financier à l'Ukraine en validant un prêt de 17 milliards de dollars du FMI.

«Si le gouvernement central perd le contrôle effectif de l'Est», un soutien financier supplémentaire pourrait s'avérer «nécessaire», a souligné l'institution financière.

Parmi les conditions imposées par le FMI figure une augmentation de 50% du prix du gaz pour les particuliers, entrée en vigueur jeudi. Une nouvelle hausse de 40% devrait suivre dans les deux ans.

Photo Anastasia Sirotkina, AP

Le président par intérim ukrainien Olexandre Tourtchinov s'est adressé à la population à la télé nationale.