Des rassemblements de partisans de Kiev et de leurs adversaires favorables à Moscou ont rythmé dimanche l'anniversaire du poète et symbole de l'indépendance ukrainienne Taras Chevtchenko, de Kiev à Donetsk et dans la région séparatiste de Crimée où des heurts ont éclaté.

Suivant une symbolique précise, les manifestants prônant l'indépendance de l'Ukraine se rassemblent devant des statues de Chevtchenko alors que ceux souhaitant le rapprochement avec Moscou se réunissent devant des statues de Lénine.

Ces rassemblements interviennent alors que la crise diplomatique entre Occidentaux et Russes, la pire depuis la chute de l'URSS en 1991, ne trouve pas de répit. Le premier ministre ukrainien Arseni Iatseniouk va se rendre la semaine prochaine à Washington alors que les Occidentaux peinent à trouver une porte de sortie à la crise.

La péninsule ukrainienne de Crimée est contrôlée depuis fin février par des forces russes qui consolident jour après jour leur position et rendent plus difficile la possibilité pour le nouveau pouvoir de la réintégrer un jour.

Chevtchenko contre Lénine

À Kiev, des milliers d'Ukrainiens se sont rassemblés dans le parc Taras Chevtchenko avant de marcher vers Maïdan, théâtre pendant trois mois d'un mouvement de contestation sévèrement réprimé par la police avec une centaine de morts avant la chute du président Viktor Ianoukovitch et sa fuite en Russie.

Prenant la parole devant la foule, le premier ministre Arseni Iatseniouk a prévenu «la Russie et son président» Vladimir Poutine: «C'est notre terre, nous n'en céderons pas un centimètre».

Il a ajouté que les États-Unis et la Grande-Bretagne feraient «tout leur possible pour préserver l'indépendance de l'Ukraine».

Le président par intérim Olexandre Tourtchinov a pour sa part appelé les Ukrainiens à suivre l'exemple de Chevtchenko et sa célèbre phrase «Battez-vous et vous triompherez».

Pour Serguiï Roudiouk, un retraité de l'armée ukrainienne, «il faut décréter la mobilisation générale et forcer, par des méthodes militaires, les soldats russes à quitter l'Ukraine».

«Quarante-cinq millions d'Ukrainiens ne peuvent-ils pas mettre à la porte 30 000 bandits en uniforme ?», a demandé l'ancien militaire en estimant que la Russie ne «comprend que la force».

Heurts à Sébastopol

Malgré le climat de tension dans la région séparatiste de Crimée, plusieurs centaines de personnes ont affiché leur soutien à Kiev dans les rues de Simféropol ainsi qu'à Sébastopol qui abrite depuis les tsars la flotte russe de la mer Noire.

Un millier de personnes s'est ainsi réuni dans le parc Chevtchenko, lisant des poèmes du poète. «Ils (les Russes) ne peuvent pas s'emparer de la Crimée, leur occupation est illégale. Mais les choses rentreront dans l'ordre, la Crimée restera ukrainienne», a estimé Sviatoslav Regouchevski, 46 ans, son fils de deux ans sur ses épaules.

À Sébastopol, en revanche, l'atmosphère d'une petite manifestation de 200 soutiens de Kiev s'est vite dégradée.

Une centaine d'hommes armés de matraques et de fouets ont attaqué le service d'ordre qui protégeait le rassemblement. Ils accusaient le service d'ordre d'appartenir à Pravy Sector, le mouvement nationaliste paramilitaire qui s'est illustré en première ligne de la contestation à Kiev.

À côté de ces actions symboliques, 10 000 partisans de Moscou ont participé à un rassemblement plébiscitant le référendum du 16 mars sur le rattachement de la Crimée à la Russie.

«Nous ne voulons plus de ces fascistes ukrainiens», a déclaré Olga, une Ukrainienne de 60 ans, martelant que «la Crimée fait partie de la Russie».

À Donetsk, dans l'est russophone et industriel du pays, plusieurs milliers de pro-russes se sont réunis sur la place Lénine pour réclamer un référendum sur un rattachement à la Russie, brandissant des drapeaux russes ou du parti communiste.

«Nous ne voulons pas rentrer dans l'Union européenne, nous voulons choisir nous-même avec qui on travaille», a expliqué Angela Melykh.

«Pourquoi on devrait accepter ce que décide une minorité? Si dans l'ouest de l'Ukraine, ils veulent rentrer dans l'Union européenne, qu'ils y aillent», a-t-elle dénoncé.

L'OSCE toujours interdit de Crimée

Ces manifestations interviennent au lendemain de l'échec, le troisième en trois jours, des 54 observateurs internationaux dépêchés par l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) à entrer dans la péninsule de Crimée.

Le convoi de ces observateurs, civils et militaires non armés, avait dû rebrousser chemin samedi à l'approche du poste de contrôle d'Armiansk sur un des deux axes routiers permettant d'entrer en Crimée. Des hommes armés en treillis ont pointé leurs armes vers le convoi puis ont tiré en l'air trois fois.

Signe que les forces russes sont loin d'un retrait de Crimée, une soixantaine de camions militaires russes sont entrés en Ukraine par voie terrestre et maritime, selon les garde-frontières ukrainiens.

Et le ministère ukrainien de la Défense a affirmé que les forces russes «renforcent leurs positions près des villes de Perekop et Armiansk» dans le nord de la Crimée. Kiev assure que 150 fusiliers marins et huit blindés ont été déployés et qu'ils aménagent une position pour accueillir d'autres blindés.

Par ailleurs, les garde-frontières ukrainiens ont fait état d'une incursion samedi soir de forces pro-russes dans un site militaire utilisé pour surveiller le trafic maritime où ils ont endommagé du matériel.

Alors que chaque protagoniste réfute l'idée d'une nouvelle guerre froide, le ministère russe de la Défense a indiqué samedi réfléchir à une suspension des inspections étrangères de son arsenal d'armes stratégiques, y compris les missiles nucléaires, en réponse aux «menaces» venant des États-Unis et de l'Otan.

Ces inspections ont lieu dans le cadre du Traité de réduction des armes stratégiques (START) signé en 2010 par les États-Unis et la Russie, et dans celui du Document de Vienne entre les pays membres de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE).

Samedi, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a assuré que la Russie était ouverte à un dialogue «honnête, d'égal à égal» avec les puissances étrangères.

Khodorkovski dénonce la politique de Poutine

KIEV - L'ex-ennemi numéro un de Vladimir Poutine, Mikhaïl Khodorkovski, a condamné dimanche les actions de Moscou dans la crise ukrainienne dans un vibrant discours devant des milliers d'Ukrainiens sur le Maïdan à Kiev.

Arrivé à Kiev samedi soir, l'ex-magnat qui a été gracié par le président russe en décembre après dix ans d'emprisonnement a passé une partie de la nuit à discuter avec les manifestants autour des braséros sur le Maïdan, place centrale de Kiev et haut lieu de la contestation qui a tourné en février au bain de sang avec la mort de dizaines de personnes.

Il était accompagné de Iouri Loutsenko, l'un des leaders de la contestation et ex-ministre ukrainien de l'Intérieur, lui aussi emprisonné puis gracié par le président Viktor Ianoukovitch destitué fin février.

L'ex-magnat du pétrole portant une doudoune noire a pris la parole devant des milliers d'Ukrainiens réunis sur le Maïdan pour le 200e anniversaire du poète national Taras Chevtchenko, symbole de la lutte pour l'indépendance de l'Ukraine face à l'oppression de l'empire russe.

Sa venue a tout d'un symbole alors que la péninsule ukrainienne pro-russe de la Crimée est occupée depuis fin février par les forces russes et pourrait être rattachée à la Russie à l'issue d'un référendum prévu le 16 mars.

«Russie, lève-toi» 

«Vive le peuple d'une nouvelle Ukraine démocratique!», a-t-il lancé devant la foule. «Russie, lève-toi!», ont scandé en retour les manifestants.

Au bord des larmes, M. Khodorkovski a raconté sa venue quelques heures plus tôt sur le Maïdan, ses conversations la nuit avec ceux qui l'occupent toujours nuit et jour depuis la volte-face pro-russe fin novembre du régime de Ianoukovitch au détriment d'un rapprochement avec l'Europe.

«Ils m'ont raconté ce que les autorités avaient fait ici, ce qu'elles avaient fait avec l'accord du pouvoir russe. Plus de 100 personnes ont été tuées, 5000 blessées», a-t-il dit. «Honte! honte!», ont réagi les manifestants.

«J'ai vu les boucliers en bois (des manifestants) contre les balles réelles. Je voulais pleurer. C'est horrible. (Le pouvoir en Russie), ce n'est pas mon pouvoir», a-t-il lancé, très ému. «Il y a une tout autre Russie», a-t-il martelé.

«Russie, lève-toi», ont une nouvelle fois scandé en retour les manifestants.

L'ancien oligarque a dénoncé à Kiev «la propagande russe qui ment» en traitant les nouvelles autorités ukrainiennes issues de la contestation de «fascistes». «Les fascistes et les nazis ne sont pas plus nombreux ici que dans les rues de Moscou ou de Saint-Pétersbourg (...) Ce sont des gens magnifiques qui ont défendu leur liberté», a-t-il souligné.

Il a également voulu convaincre les Ukrainiens qu'il y avait en Russie des gens qui ne soutenaient pas Vladimir Poutine et qui participaient aux manifestions non-autorisées contre la crise en Ukraine au risque d'être arrêtés.

«Pour ces personnes, l'amitié entre les peuples russe et ukrainien est plus importante que leur propre liberté», a-t-il dit.

Mikhaïl Khodorkovski a fini son discours par la fameuse phrase de Taras Chevtchenko devenue le mot d'ordre des contestataires en Ukraine qu'il a prononcée en ukrainien: «Battez-vous et vous triompherez. Dieu vous aide».

Le premier ministre aux États-Unis cette semaine

Le premier ministre ukrainien Arseni Iatseniouk a annoncé dimanche qu'il se rendrait cette semaine aux États-Unis pour discuter d'une sortie de la crise autour de la Crimée ..

«Mercredi prochain, c'est mon adjoint qui présidera le conseil des ministres parce que je pars pour les États-Unis pour discuter au plus haut niveau du règlement de la situation en Ukraine», a déclaré M. Iatseniouk, cité par l'agence Interfax, en ouvrant le conseil des ministres.