La Russie de Vladimir Poutine s'est donné le droit samedi d'intervenir militairement en Ukraine pour protéger ses intérêts et ses citoyens, au grand dam des Occidentaux qui ont  multiplié les mises en garde face au risque d'un éventuel conflit armé.

Moscou se donne le droit de «protéger ses intérêts et les populations russophones» en cas de «violences» dans l'Est de l'Ukraine et en Crimée, a déclaré le président Poutine lors d'une conversation téléphonique de 90 minutes avec son homologue américain Barack Obama, selon un communiqué du Kremlin.

M. Poutine a estimé que la vie des Russes résidant en Ukraine était menacée par les «actions criminelles des ultranationalistes soutenus par les actuelles autorités» ukrainiennes.

Le président Obama a, au contraire, appelé M. Poutine à replier les forces russes dans leurs bases en Crimée et la mise en garde contre «un isolement international».

La préoccupation des Occidentaux s'est rapidement manifestée après que le Conseil de la Fédération (Sénat) russe eut approuvé à l'unanimité une demande d'intervention  présentée par M. Poutine.

Selon le Kremlin, M. Poutine a demandé d'autoriser «le recours sur le territoire de l'Ukraine aux forces armées russes jusqu'à la normalisation de la situation politique dans ce pays».

Cette formule laisse entendre que la Russie peut aussi bien utiliser les forces de la Flotte russe de la mer Noire, qui se trouvent déjà en Crimée aux termes d'un accord bilatéral signé entre Moscou et Kiev et comptent environ 20.000 hommes basés à Sébastopol, qu'envoyer d'autres troupes venant, elles, de Russie.

Son éventuelle mise en oeuvre est désormais entre les mains de M. Poutine: «C'est le président qui prend la décision. Pour le moment, il n'y a pas de décision en ce sens», a affirmé son porte-parole Dmitri Peskov.

Plus tôt dans la journée, le nouveau Premier ministre de Crimée, Serguiï Axionov, que Kiev considère comme illégitime, avait sollicité l'aide de Vladimir Poutine pour restaurer «la paix et le calme» dans la péninsule ukrainienne.

L'armée ukrainienne en état d'alerte

À Kiev, les nouvelles autorités pro-européennes ont mis plusieurs heures à réagir à ce nouveau tournant. «J'ai donné l'ordre de mettre l'armée en état d'alerte, de renforcer la protection des centrales nucléaires, des aéroports et des sites stratégiques», a déclaré le président par intérim Olexandre Tourtchinov à l'issue d'une réunion du conseil de sécurité nationale et de défense. L'armée ukrainienne est considérée comme mal équipée et mal financée.

«Nous sommes persuadés que la Russie ne lancera pas d'intervention, car cela signifierait la guerre et la fin de toute relation entre les deux pays», a pour sa part affirmé le premier ministre Arseni Iatseniouk

Mais le ministre des Affaires étrangères, Andriï Dechtchitsa, a indiqué que son pays avait fait appel à l'OTAN afin d'«envisager tous les moyens possibles pour défendre la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine».

L'Alliance atlantique a répondu à cet appel en convoquant dimanche les 28 ambassadeurs des pays membres à une réunion d'urgence à Bruxelles.

D'autres, comme l'ancien champion du monde de boxe Vitali Klitschko, le parti nationaliste ukrainien Svoboda et le groupe d'extrême droite Pravy Sector, en première ligne de la contestation en Ukraine, ont appelé samedi à la «mobilisation générale».

Avant son entretien téléphonique avec M. Poutine, le président Obama avait demandé la réunion de  son équipe de sécurité nationale et averti Moscou du «coût» sur la scène mondiale qu'une éventuelle intervention russe en Ukraine pourrait avoir.

Le président américain s'est également entretenu samedi séparément avec son homologue français François Hollande et le premier ministre canadien Stephen Harper, et tous trois ont exprimé leur «profonde inquiétude» au sujet de l'intervention russe en Ukraine, selon la présidence américaine.

Le président français François Hollande a appelé de son côté M. Poutine à «éviter tout recours à la force» tandis que le premier ministre britannique, David Cameron, a estimé qu'une intervention n'aurait aucune «justification».

À New York,l'ambassadrice américaine à l'ONU Samantha Power, a déclaré, après une réunion d'urgence des ambassadeurs des 15 pays membres du Conseil de sécurité que la Russie devait «mettre fin à son intervention».

Le ministre des Affaires étrangères britannique William Hague est attendu dimanche à Kiev, de même que son homologue grec Evangelos Venizelos, dont le pays occupe la présidence tournante de l'UE.

Le Sénat russe a par ailleurs indiqué qu'il allait demander au président Vladimir Poutine le rappel de l'ambassadeur russe aux États-Unis, estimant que le président Barack Obama avait franchi une «ligne rouge» et «humilié le peuple russe» en déclarant vendredi que toute intervention militaire en Ukraine aurait «un coût».

Multiples points chauds

Les points chauds se sont multipliés dans l'est et le sud russophones de l'Ukraine, selon des correspondants de l'AFP, qui ont observé des irruptions d'hommes armés dans plusieurs sites stratégiques ou d'importantes manifestations pro-russes. Aucun combat n'a été rapporté.

Une centaine de personnes ont été blessées à Kharkiv (est de l'Ukraine) en marge d'une manifestation pro-russe qui a conduit à la prise d'assaut du siège de l'administration régionale par quelque 300 manifestants. Des partisans des nouvelles autorités pro-occidentales de Kiev s'y seraient barricadés.

À Donetsk, fief du président déchu Viktor Ianoukovitch dans l'est de l'Ukraine, les autorités ont indiqué envisager un référendum sur le statut de la région du Donbass, comme il est déjà prévu en Crimée, et un drapeau russe a été hissé au-dessus du conseil régional.

Plus de 10 000 personnes avaient manifesté samedi matin contre les nouvelles autorités de Kiev.

Kiev a accusé la Russie de déployer des milliers d'hommes supplémentaires en Crimée, foyer jusqu'ici de la crise. «La Russie a accru (le nombre de) ses troupes de 6.000 hommes» en Crimée, a affirmé le ministre de la Défense Igor Tenioukh.

Près de 30 blindés ont aussi été déployés, a-t-il dit.

Selon M. Iatseniouk, la Russie tente de répéter le scénario mis en oeuvre en 2008 dans la région géorgienne séparatiste d'Ossétie du Sud, où elle avait lancé une opération militaire éclair contre les autorités de Tbilissi, et dont elle a fini par reconnaître l'indépendance.

Plusieurs sites stratégiques en Crimée sont désormais sous le contrôle d'hommes armés et en uniformes, mais sans signe permettant de les identifier. Ils contrôlent les aéroports de Simféropol, capitale de la Crimée, de Sébastopol, de Kirovske, ainsi que le centre de Simféropol, et ont hissé le drapeau russe sur plusieurs bâtiments officiels.