Déclarations mesurées, prudence au sujet du nouveau régime et insistance sur la coopération avec Moscou, loin du climat de la Guerre froide: dans le dossier ukrainien, Washington semble désormais marcher sur des oeufs pour calmer le courroux de la Russie.

Le Premier ministre russe Dmitri Medvedev a lancé une mise en garde lundi après un week-end qui aura vu les événements se succéder à un rythme effréné à Kiev, avec la fuite du président allié de Moscou, Viktor Ianoukovitch, sa destitution par le Parlement et la désignation du président de ce dernier, Olexandre Tourtchinov, comme dirigeant par intérim de l'exécutif.

«Certains de nos partenaires occidentaux considèrent qu'il est légitime (...) il me semble que c'est une aberration de considérer comme légitime ce qui est en fait le résultat d'une révolte», a affirmé M. Medvedev.

La Maison-Blanche a entretenu le flou sur le statut de M. Tourtchinov à ses yeux. Le porte-parole du président Barack Obama, Jay Carney, a souligné que le Parlement avait «élu son nouveau président de façon légale».

Mais s'il a remarqué que M. Ianoukovitch, de toute évidence, «ne dirige pas activement le pays à l'heure actuelle», il n'est pas allé jusqu'à qualifier M. Tourtchinov de président par intérim.

Il a en revanche évoqué «la nécessité de mettre en place un gouvernement de coalition multipartite, un gouvernement de techniciens qui pourra aider l'Ukraine à prendre les décisions importantes qui s'imposent, notamment en matière économique et financière, en attendant des élections anticipées».

M. Carney a souligné que son pays était prêt «à soutenir l'Ukraine dans ses réformes nécessaires pour revenir à la stabilité économique. Ce soutien pourra être en sus d'un programme du FMI», le Fonds monétaire international. Selon un haut responsable américain, il serait comparable à un prêt russe de 15 milliards de dollars consenti à Kiev sous M. Ianoukovitch et désormais tout sauf certain, alors que l'Ukraine est en quasi défaut de paiement.

Washington, quatre jours après un appel téléphonique entre le président Barack Obama et son homologue russe Vladimir Poutine, a aussi essayé de faire passer le message selon lequel Moscou avait intérêt à une transition pacifique du pouvoir à Kiev.

Prise de recul

La crise qui a débouché sur le départ de M. Ianoukovitch au terme d'affrontements meurtriers a été provoquée par le refus du dirigeant déchu d'un rapprochement avec l'Union européenne au profit des liens historiques avec Moscou.

Mais «il n'y a aucune contradiction dans le fait que l'Ukraine et les Ukrainiens se rapprochent de l'Europe et le fait qu'ils conservent leurs liens culturels et économiques de longue date avec la Russie», a assuré M. Carney.

Sa collègue du département d'État, Jennifer Psaki, a quant à elle rejeté l'idée que l'Ukraine soit le théâtre d'une lutte d'influences entre les États-Unis et l'Union européenne d'une part, et la Russie d'autre part: «c'est une façon très "Guerre froide" de considérer les choses», a-t-elle lancé.

«La position des États-Unis a été cohérente et claire: nous ne pensons pas qu'un pays ou un autre (...) puisse imposer leur destin à ces pays en Europe de l'Est et dans le Caucase. C'est aux habitants de ces pays, via le processus démocratique, de prendre leurs propres décisions», a indiqué de son côté le haut responsable américain, sous couvert d'anonymat.

L'Union européenne a été davantage en pointe dans la gestion des bouleversements en Ukraine ces derniers jours, avec la présence à Kiev jeudi des chefs de la diplomatie français, allemand et polonais.

Après l'activisme dont avait fait preuve à Kiev la secrétaire d'État adjointe américaine pour l'Europe, Victoria Nuland, Washington a semblé prendre du recul. Le numéro deux du département d'État, William Burns, ne sera que mardi en Ukraine, au lendemain de la chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton.

Les Américains «ont certainement à l'esprit le fait qu'ils ont besoin d'une relation constructive avec la Russie dans de nombreux dossiers, que ce soit la Syrie ou l'Iran», remarque Joerg Forbrig, spécialiste de l'Europe de l'Est au groupe de réflexion German Marshall Fund.

Et «un rôle plus actif des États-Unis dans le dossier ukrainien pourrait faire courir des risques à cette coopération», explique-t-il à l'AFP. Donc «les Américains prennent un peu de recul pour ne pas provoquer Moscou», analyse M. Forbrig.