Vendredi, la présidence ukrainienne et l'opposition ont signé un accord de sortie de crise au lendemain d'un bain de sang à Kiev. Le compromis a été obtenu grâce à l'aide de diplomates européens qui s'étaient déplacés dans la capitale ukrainienne. Même si le calme est revenu à la place de l'Indépendance, les manifestants ne désarment pas.

Après le bain de sang, le calme. Hier, au Maïdan, l'épicentre de la révolution ukrainienne, les gens vaquaient tranquillement à leurs affaires. Pourtant, la veille, des bâtiments avaient brûlé, des cocktails Molotov avaient explosé, des tireurs embusqués avaient tiré sur la foule. Des morts, des blessés. La bascule dans la violence après trois mois de calme relatif et de tensions.

Une vision apocalyptique qui a éclaboussé pendant deux jours les écrans de télévision de la planète. En plein centre-ville d'une capitale, Kiev. Un bain de sang aux portes de l'Europe.

Vendredi, la place de l'Indépendance ne brûlait plus. Elle pansait ses plaies, mais ne désarmait pas. Au contraire. L'accord de sortie de crise conclu entre le président Viktor Ianoukovitch et l'opposition a fait baisser la tension de plusieurs crans, mais il n'a rien changé au train-train du Maïdan, l'équivalent de la place Tahrir au Caire. Même grand espace au coeur de la ville, même occupation révolutionnaire d'un tout petit territoire, même résistance au pouvoir, mêmes manifestations qui durent pendant des semaines.

Des hommes armés d'un bric-à-brac de bâtons, casques et vestes pare-balles patrouillent la place et gardent jalousement les frontières de ce qui est devenu un État dans l'État, avec ses brigades d'autodéfense, ses frontières protégées par des barricades et son pouvoir. Car le mouvement Maïdan a du pouvoir. S'il rejette l'entente intervenue hier, les manifestants continueront d'occuper la place. Et tout pourra de nouveau basculer. À moins que le président Ianoukovitch ne fuie. Hier soir, vers 23h30, des rumeurs parlaient de fuite imminente.

L'accord prévoit des élections d'ici la fin de 2014, un retour à la constitution de 2004 (le président Ianoukovitch, élu en 2010, a modifié la Constitution pour s'arroger des pouvoirs accrus) et la formation d'un gouvernement de coalition.

Investi de ses nouveaux pouvoirs, le Parlement a décidé de libérer Ioula Timochenko, symbole de la révolution orange de 2004. Elle était emprisonnée depuis deux ans.

Sur la place de l'Indépendance, les gens accueillent cet accord avec scepticisme. «On espère, mais on ne croit pas», dit Cyril, 21 ans, un étudiant de Polytechnique qui a abandonné ses cours le temps d'une révolution. Il porte un dossard blanc marqué d'une croix rouge. Il a suivi un entraînement éclair. Il aide les gens blessés.

Il est avec deux femmes, Olena et Ouliana qui, comme lui, portent le dossard. Elles partagent son scepticisme. «Il est trop tôt pour baisser la garde», affirme Olena.

Non seulement le Maïdan ne baisse pas les bras, mais il étend son territoire. Les alentours de la place sont contrôlés par les brigades d'autodéfense. Elles ont établi leur quartier général dans un édifice qui appartient à l'Union des architectes, à cinq minutes de marche de la grande place. Au troisième étage, un dortoir improvisé avec des matelas jetés par terre, des couvertures et de la nourriture qui traîne sur une table dans un coin. C'est ici que mangent et dorment les hommes entre deux rondes.

Sur le trottoir, une soixantaine de combattants armés de bâtons et de vestes pare-balles écoutent les instructions de leur chef. C'est à leur tour de patrouiller dans la place de l'Indépendance. L'organisation est quasi militaire. Au rez-de-chaussée, des hommes fabriquent des boucliers de fortune avec des morceaux de tuyauterie. Non, le Maïdan ne désarme pas.

Ivavo Oblast est membre de la brigade d'autodéfense. Casque, veste pare-balles, genouillères. Il montre une douille et un clou, des armes utilisées par le gouvernement, dit-il. Il les garde précieusement. «Quand Ianoukovitch passera devant le tribunal de La Haye pour crimes contre l'humanité, on aura des preuves.»

Il remet la douille et le clou dans sa poche.

Il était là, au premier rang, quand l'armée a tiré. Il a lancé un cocktail Molotov sur des policiers. «Tout le monde faisait comme moi», dit-il.

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Le Maïdan vaque donc à ses occupations, mais avec un mal de bloc carabiné. Comme un gigantesque lendemain de veille, ivre de trop de violences.

Au milieu de la place, une scène où des orateurs haranguent la foule. Autour, des comptoirs de nourriture, des barricades, une pile de pneus prêts à flamber, des sacs-poubelle qui traînent un peu partout.

Ici et là, des gens se recueillent autour de lampions et de fleurs. Le Maïdan pleure ses morts. Près de 80, selon les derniers chiffres.

Il fait sombre, les lumières de la ville ne fonctionnent pas. Les gens tendent leurs mains au-dessus des feux allumés dans des poubelles. Le temps est froid et sec, le ciel noir, presque bleu, est sans nuages. Comme la place de l'Indépendance. Le temps d'une trêve.