Le 22 juillet, la Norvège marquera un terrible anniversaire. Il y a un an, un individu cruel, islamophobe et misogyne, Anders Behring Breivik, posait une bombe devant le principal immeuble gouvernemental à Oslo, tuant 8 personnes, puis partait dans un camp des jeunesses travaillistes, non loin de la ville, pour causer la mort de 69 autres. Pourquoi? Pour exprimer son dégoût devant ce qu'il a appelé la dérive marxiste de sa société, cette Norvège pacifique, profondément démocrate, ouverte au multiculturalisme et égalitaire. Aujourd'hui, le pays se remet difficilement de la douleur d'avoir perdu tant des siens et de cet affront à ses valeurs. La chroniqueuse Marie-Claude Lortie en revient. Récit.

La soirée est joyeuse et pas du tout politique. On est très loin d'Utøya. On parle de gastronomie, de pêche... Et puis je réponds à l'une des convives que si je suis en Europe, c'est pour un reportage sur la tuerie du 22 juillet. Le sujet tombe sur la table comme une tonne de plomb. Les souvenirs abondent. Des larmes coulent.

On a beau être un an plus tard, et j'ai beau échanger avec une Norvégienne qui était à des centaines de kilomètres de la tragédie, la douleur est à fleur de peau.

Dans ce petit pays de 5 millions d'habitants, le drame a frappé près de tous.

Le 22 juillet, cela fera un an qu'Anders Behring Breivik, un individu convaincu qu'il doit sauver son pays d'une dérive à la fois marxiste, islamiste et Sex and the City, a causé la mort de 77 personnes. Huit en faisant exploser une bombe devant un immeuble gouvernemental du centre d'Oslo. Et le reste, en se rendant avec plusieurs armes à feu, dont la même que le tueur de Polytechnique, à Utøya. À environ une heure de la ville, cette île accueillait, comme chaque année, le camp d'été de l'aile jeunesse du Parti travailliste.

En Norvège, tout le monde connaît ce lieu magnifique où, en plein coeur de juillet, les jeunes vont faire la fête aux frais du principal parti politique, passant ainsi les beaux jours à nager, jouer au football, chanter au karaoké, se faire des amis, peut-être même draguer un peu et boire quelques bières, en écoutant à l'occasion des séances d'éducation politique.

Dans l'île, Breivik est arrivé déguisé en policier et a d'abord tué un agent non armé, qui n'était pas en service, et un autre adulte veillant à la sécurité. Puis il s'est tourné vers les jeunes. Pendant une heure trente, il a tiré, surtout sur des adolescents. Sa plus jeune victime avait 14 ans. Quand la police est arrivée et a arrêté le tueur, parmi les 564 personnes présentes dans l'île, 69 étaient mortes, dont 55 de moins de 25 ans, et 110 personnes étaient blessées.

Évidemment, tous ces gens ont des parents, soeurs, cousins, voisins, camarades de classe, qui ont été soit dévastés par la mort, soit atrocement inquiétés par la possibilité qu'une victime ne puisse survivre à ses blessures - le meurtrier a choisi des balles qui éclatent dans le corps. Et les survivants aussi ont des parents, soeurs, amoureux, patrons, qui ont passé les pires heures de leur vie à attendre de savoir qui reviendrait vivant du cauchemar.

Dans une société encore plus petite que le Québec, un tel drame a donc fini par toucher tout le monde, une personne sur quatre, ont calculé certains médias. Surtout que le camp accueillait des jeunes de partout au pays. Chaque région a perdu des siens.

«Tout le monde est lié à un mort ou à un survivant», explique Anders Giaever, chroniqueur au quotidien VG, en me montrant par la fenêtre de son bureau le squelette de l'immeuble gouvernemental attaqué.

«Nous vivons dans une très petite société, dit-il. Oui, un an après, nous pouvons en parler, mais c'est un sujet très délicat. Il faut faire vraiment très attention à la façon dont on en parle.»

Le journaliste était au bureau quand Breivik a fait sauter sa bombe, peu après avoir publié sur l'internet un manifeste décrivant les raisons politiques de son geste. Les vitres des fenêtres de la salle d'attente ont été pulvérisées.

Giaever a couvert et commenté pendant 10 semaines, du 16 avril à la fin du mois de juin, le procès de Breivik dont on attend le verdict le 24 août. Voici comment commençait un de ses articles, au début du processus. «On pleure à la table des juges. Les procureurs regardent vers le bas et se frottent les yeux. Plusieurs avocats se battent pour maîtriser leur voix. Les journalistes pleurent. Les gens dans l'audience pleurent. Et bien sûr, il y a les sanglots des parents des victimes, des survivantes et des survivants...»

En entrevue, Marit Nybakk, députée travailliste de longue date, parle lentement, pèse ses mots. Le sujet n'est pas facile. «Tout le monde est affecté. Mais aussi parce que ce qui s'est passé est en tel désaccord avec notre perception de notre pays», dit-elle.

C'est une image de la Norvège qu'on a assassinée. Une image de tolérance, d'intégration, de paix. Ici, les policiers ne portent pas d'arme.

Mme Nybakk connaissait plusieurs victimes et a suivi huit jeunes jusqu'à leur tombe. «Et chaque fois c'était plus difficile», note-t-elle. Ensuite, elle n'a pas été capable d'aller à des funérailles pendant des mois. «Mon fils est sur le conseil d'Utøya, il aurait pu être là.»

Émus et fortement attristés par la tragédie, les Norvégiens ont réagi massivement depuis un an, multipliant manifestations et hommages aux victimes. En quelques semaines après la tragédie, le Parti travailliste avait recruté 10 000 nouveaux membres. Durant le procès, quand le tueur a expliqué pourquoi la chanson Children of the Rainbow de l'Américain Pete Seeger était celle qu'il détestait le plus au monde parce qu'elle incarne, selon lui, le type de «lavage de cerveau marxiste» dont il accuse sa société, des milliers de résidants d'Oslo ont répondu à un appel lancé sur Facebook et sont descendus dans la rue, avec le chanteur norvégien Lillebjoern Nilsen pour entonner cet air comme un hymne à la tolérance.