Il était une fois un pays riche et paisible où le Premier ministre se promenait quasiment sans protection: globalement préservée de la violence jusqu'au carnage du 22 juillet, la Norvège réalise qu'elle risque d'avoir à changer, même à son corps défendant.

La Suède a eu l'assassinat du premier ministre Olof Palme, le Danemark les menaces d'attentat après la crise des caricatures de Mahomet, la Finlande ses fusillades dans des lycées: avec la tuerie commise par Anders Behring Breivik, la Norvège est le dernier pays nordique à perdre la certitude d'être à l'abri des tragédies.

«Il y aura un avant et un après le 22 juillet», a reconnu le Premier ministre norvégien Jens Stoltenberg, qui a chargé une commission indépendante de lui rendre un rapport sur les leçons de la sanglante double attaque.

«La carte a été déchirée, la boussole a été brisée», a-t-il dit lundi au Parlement.

Mais un changement jusqu'à quel point? Le débat s'ouvre peu à peu en Norvège, après dix jours d'union nationale et d'hommages aux victimes, essentiellement très jeunes.

«Plus d'ouverture, plus de démocratie, plus d'humanité, mais pas plus de naïveté»: la formule martelée par M. Stoltenberg, si elle a suscité l'adhésion, commence à afficher ses limites.

«Peu importe combien nous parlons de démocratie, d'ouverture et du fait qu'il faut continuer comme avant, la Norvège est obligée de mieux se protéger contre les "perdants" tourmentés aux intentions maléfiques», estime le quotidien Verdens Gang dans un éditorial lundi.

Le journal publie un sondage selon lequel plus de 65% des Norvégiens jugent trop faibles les peines prévues pour les crimes graves dans le pays scandinave, connu pour être un des moins répressifs en Europe.

Behring Breivik, l'extrémiste qui a avoué être l'auteur du massacre qui a fait 77 morts, encourt 21 ans de prison, même s'il peut en principe rester emprisonné tant que la justice le considère encore comme dangereux.

Un nombre croissant de Norvégiens plaide également pour plus de surveillance du renseignement intérieur, selon le sondage.

Mais la même enquête d'opinion montre aussi qu'un quart d'entre eux sont plus positifs à l'égard de la société «multiculturelle» à laquelle Behring Breivik avait déclaré la «guerre», dans un pays où la droite dure et populiste est devenue en dix ans la deuxième force politique.

Somaliennes voilées entrant brûler un cierge à la cathédrale, Premier ministre en visite dans une mosquée d'Oslo vendredi, premier enterrement mi-protestant mi-musulman: la Norvège a montré depuis le 22 juillet d'impressionnants signes d'union, soulignent les observateurs.

Pour Ann-Helén Bay, directrice de l'Institut de recherche sur la société, le débat politique en Norvège va se pacifier, notamment sur la question de l'immigration.

«Cela pourrait notamment avoir un effet réconfortant pour les immigrés et leur perception de la société norvégienne qui, jusqu'à présent, était marquée d'un certain scepticisme», souligne-t-elle.

«On peut s'attendre à plus d'interaction, de tolérance et d'ouverture d'esprit», dit-elle à l'AFP, même si tout peut encore s'inverser, selon elle.

Les Norvégiens de la rue ne cessent de le dire: trop changer serait céder à la logique haineuse de Behring Breivik, à laquelle ils veulent opposer «l'amour».

«Les Norvégiens ne vont sans doute plus rencontrer leurs ministres lors de balades à ski dans les bois ni les croiser sur les trottoirs d'Oslo», constate Kristian Berg Harpviken, directeur de l'Institut de recherche sur la paix d'Oslo (PRIO).

Mais «nous devons apprendre à vivre avec le risque, même si cela exigera beaucoup de nous», écrit-il sur le site de l'institut.

«La vision d'une sécurité totale n'est pas simplement une vision impossible: elle pourrait aussi saper la nature même du type de société que nous cherchons à défendre», dit-il.