Anders Behring Breivik avait promis qu'il expliquerait son massacre à ses compatriotes lorsqu'il comparaîtrait devant le tribunal. Le tueur voulait même le faire vêtu d'un uniforme. Mais le juge a préféré ne pas lui donner cette tribune, au grand soulagement des Norvégiens.

Le juge Kim Heger a envoyé l'homme de 32 ans en isolement pour quatre semaines. Il restera ensuite en prison pendant au moins quatre semaines de plus, jusqu'à la tenue de son procès. Anders Behring Breivik a admis avoir posé la bombe qui a tué 8 personnes au siège du gouvernement norvégien, vendredi, et abattu ensuite 68 autres personnes dans l'île d'Utoya, selon un nouveau bilan revu à la baisse.

Dimanche soir, par la voix de son avocat, il avait promis qu'il «expliquerait» son geste «atroce mais nécessaire» devant la justice.

En réaction, des centaines de Norvégiens ont envahi lundi matin les abords du palais de justice d'Oslo, surveillant toutes les entrées par lesquelles le convoi policier était susceptible d'arriver. «Je veux le voir et lui crier tout haut ce que je pense de lui», a lancé Alexander, jeune homme à l'air hargneux qui se tenait proche d'une porte de garage avec trois amis prêts à en découdre. «C'est un peureux qui tire sur des enfants. Qu'il sorte de la voiture pour nous montrer comment il est fort.»

Devant la porte de garage, trois policiers armés de fusils automatiques, l'index près de la détente, surveillaient nerveusement les réactions de la foule. La tension a monté d'un cran lorsqu'une Volvo noire aux vitres teintées est entrée dans un garage. Un groupe de jeunes, persuadé qu'il s'agissait du suspect, s'est subitement mis à cogner aux fenêtres en lançant des injures.

Mais le suspect a finalement été amené devant le juge par un tunnel qui relie le palais de justice à une voie rapide. Le convoi de camionnettes Mercedes noires et de motos de police n'a rencontré aucune résistance populaire.

Audience à huis clos

Quelques minutes avant l'audience, n'en déplaise aux centaines de journalistes, de photographes et de caméramans qui faisaient le pied de grue au huitième étage du palais de justice depuis plus de trois heures, le magistrat a tranché: l'audience se déroulerait à huis clos.

«Dans les circonstances actuelles, le témoignage public du suspect pourrait mener à une situation incontrôlable pour l'enquête en cours et pour la sécurité», a-t-il expliqué dans une décision de deux pages.

Plus tard, le juge a précisé en conférence de presse que «le suspect n'a pas plaidé coupable». Anders Behring Breivik a expliqué au magistrat qu'il avait voulu «lancer un signal d'alarme» en «infligeant un maximum de pertes au Parti travailliste» parce que celui-ci est incapable d'empêcher «l'importation massive de musulmans» en Norvège.

Deux cellules complices?

Breivik a également affirmé qu'il avait préparé son coup avec l'aide «de deux autres cellules» de sa prétendue organisation. La police norvégienne n'a pas été en mesure de donner plus de détails à cet égard, mais des éléments du manifeste de Breivik indiquent qu'il collaborait avec deux groupes d'activistes d'extrême droite établis en Angleterre. Le premier ministre britannique, David Cameron, a vite réagi et déclaré qu'il avait mis Scotland Yard sur la piste.

Devant le palais de justice d'Oslo, le huis clos décrété par le juge a été plutôt bien accueilli. «Il cherchait simplement à faire parler de lui. En lui barrant la route, le juge lui a enlevé une belle visibilité pour sa propagande», a affirmé Monica Sunstad, qui se trouvait dans la foule devant le palais de justice avec ses deux jeunes enfants.

En fin de journée, plus de 150 000 personnes ont marché en silence dans les rues d'Oslo sans direction précise, une rose à la main. Les médias locaux ont qualifié la manifestation spontanée de «gigantesque». Pour des raisons de sécurité, la marche a pourtant failli avorter, car les organisateurs n'avaient pas prévu autant de participants. «Personne n'aurait pu arrêter cette marche», croit Lisa G. Svartdel, rencontrée à quelques dizaines de mètres du lieu où a explosé la bombe. «C'est un signal que nous envoyons: nous n'acceptons pas d'être menacés ainsi.»