Le nouveau président de la Côte d'Ivoire aime se faire appeler «Ado». Mais ce sobriquet, tiré de ses initiales, est loin d'indiquer qu'Alassane Dramana Ouattara est un nouveau venu sur la scène politique ivoirienne. Pour devenir président hier, il s'est battu sans relâche pendant 20 ans.

Une bonne partie de cette bataille l'a opposé à une seule et même personne, Laurent Gbagbo, le président sortant de ce pays d'Afrique de l'Ouest. Cette confrontation de deux décennies semble avoir connu son dénouement, hier, alors que Gbagbo, qui refusait depuis novembre de reconnaître sa défaite électorale, a été arrêté manu militari par des forces fidèles à Alassane Ouattara.

Si Gbagbo était l'homme du sud du pays, chrétien, prônant le contrôle des destinées du pays uniquement par les Ivoiriens nés de parents ivoiriens, Alassane Ouattara est tout le contraire.

Musulman, né en 1942 dans un village du nord du pays, de père ivoirien, mais de mère burkinabée, Alassane Ouattara a dû se battre pendant de longues années avant d'avoir le droit de se présenter à la présidence du pays, un droit qui lui a été accordé récemment malgré une campagne de dénigrement qui a duré plus de 20 ans. On l'accusait d'être à la solde du Burkina Faso voisin et d'être le pantin de l'Occident et tout spécialement de la France.

Parcours occidental

S'il a vécu en exil à Paris pendant plusieurs années et a épousé une Française, Dominique Nouvian, sous l'oeil attentif de Nicolas Sarkozy (alors maire), c'est aux États-Unis qu'Alassane Ouattara a fait ses classes. Après des études à la prestigieuse Université de Pennsylvanie, il a obtenu un doctorat en économie qui lui a valu un poste de direction au Fonds monétaire international (FMI).

Faisant face à une crise économique, le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny a nommé Ouattara premier ministre en 1990, poste dont il fut chassé par le président suivant, Henri Konan Bedie, qui fut le premier à jouer la carte de «l'ivoireté». En quelque sorte, notent les experts, la victoire d'Alassane Ouattara aux élections du 28 novembre 2010 est aussi la victoire de quelque 30% de la population ivoirienne, issue de l'immigration, qui a grandement collaboré au développement économique du pays, qui fut à une époque le «miracle» et l'eldorado africain.

«Côté sombre»

Mais tous ne voient pas en Alassane Ouattara une victime innocente. «Beaucoup de gens pensent qu'il y a un côté sombre dans le personnage. Plusieurs pensent qu'il a été impliqué dans la crise politico-militaire de 2002. Il a dit qu'à l'époque, il n'avait pas de liens avec les Forces nouvelles, qui étaient au coeur du conflit, mais c'est ce même groupe qui le met aujourd'hui au pouvoir», note Richard Downie, directeur du programme africain au Centre pour les études stratégiques et internationales (CSIS), joint à Washington hier.

Expert de l'Afrique à l'Université du Québec à Montréal, Aziz Fall rappelle pour sa part les liens étroits entre Alassane Ouattara et les grandes sociétés chocolatières. Le beau-fils de Ouattara, Loïc Lofforoux, gère en Côte d'Ivoire les intérêts d'Anthony Ward, un des plus grands importateurs mondiaux de cacao, l'or noir ivoirien. Il rappelle que M. Ouattara a aussi été un des chantres des ajustements structurels, ces réformes très controversées imposées à plusieurs pays africains par la Banque mondiale et le FMI dans les années 90.