En 2005, Mgr Jorge Mario Bergoglio, alors cardinal, a eu son premier bras de fer avec le gouvernement argentin. L'avortement était au coeur de la controverse. Plusieurs autres affrontements autour de la morale sexuelle ont suivi. Il a notamment comparé l'avortement à la peine de mort et qualifié le mariage homosexuel de «démoniaque».

Le problème est apparu quand l'évêque aumônier des Forces armées, Antonio Basseotto, a commenté les tentatives de plus en plus sérieuses de légaliser l'avortement en Argentine en citant un passage de l'Évangile selon saint Luc: «On ne peut supposer qu'il n'arrivera pas de scandale; mais malheur à celui par qui il arrive! Il serait plus utile pour lui qu'on lui suspende autour du cou une pierre de meule et qu'on le lance dans la mer, plutôt qu'il ne scandalise un de ces petits.»

Jeter quelqu'un à la mer avec une pierre autour du cou, c'était la technique de la junte militaire pour se débarrasser des opposants politiques durant la dictature de 1976-1983. Le président Nestor Kirchner, considéré comme favorable à l'avortement, a démis Mgr Basseotto de ses fonctions. Mgr Bergoglio et le Vatican lui ont tenu tête, et Mgr Basseotto est resté en poste deux ans de plus, jusqu'à l'âge canonique de la retraite.

Nouvelle charge

Deux ans plus tard, en 2007, alors qu'il dévoilait à Buenos Aires un document de la Conférence épiscopale latino-américaine, Mgr Bergoglio est revenu à la charge: «En Argentine, nous avons la peine de mort. Un enfant conçu par le viol d'une handicapée mentale peut être condamné à mort.»

Le premier pape sud-américain renouvellera-t-il la charge contre la révolution sexuelle? Plusieurs pensent que oui, parce qu'il provient de sociétés beaucoup plus fidèles au dogme catholique.

En 2006, un sondage de l'Institut de recherche américain Pew a révélé que l'Amérique latine est beaucoup plus hostile à l'avortement que le Canada ou l'Europe. Dans un sondage réalisé en 2011 en Argentine, même l'organisme américain Catholiques pour un libre choix n'a pas trouvé de majorité en faveur de l'avortement libre au cours du premier trimestre de grossesse. On envisageait alors une loi en ce sens (la présidente Cristina Kirchner a fini par mettre un terme au débat, une décision que plusieurs observateurs lient à une fausse couche de sa belle-fille).

«La culture de la mort»

«Bergoglio n'aura pas peur de parler de la culture de la mort», explique Jorge Rouillon, journaliste religieux au quotidien La Nación. «Il est d'abord intéressé par les questions sociales, mais il n'aura pas peur de répondre franchement si on lui pose la question. Il a popularisé ici la dévotion à saint Ramon Nonato, un Espagnol du XIIIe siècle qui est le patron de la fertilité.»

Martino Rigacci, qui est, depuis Buenos Aires, responsable de la couverture latino-américaine pour l'agence de presse italienne Ansa, note que «même les sandinistes au Nicaragua n'ont pas réussi à légaliser l'avortement».

Clelia Luro de Podestà, militante pour le mariage des prêtres qui a épousé un évêque défroqué dans les années 70, confirme que la morale sexuelle de l'Église ne scandalise pas vraiment les catholiques argentins. «Pour nous, l'important n'est pas l'encyclique Humanae Vitae, qui a interdit la contraception en 1968, mais Popularum Progressio, qui a centré le message de l'Église sur les pauvres», dit Mme de Podestà, dont le mari était un ami de Mgr Bergoglio.

N'empêche, la présidente Kirchner a légalisé le mariage homosexuel, malgré l'opposition de Mgr Bergoglio. «Bergoglio est conscient des limites de son influence, dit Augusto Espina, prêtre de la banlieue de Buenos Aires. Il n'aime pas cela. Mais il est capable de faire des compromis. Pour les couples homosexuels, par exemple, il a soutenu les unions civiles, alors que l'Épiscopat argentin y était opposé. Finalement, tout le monde a perdu.»