Un pape de «l'autre bout du monde». C'est avec une pointe d'humour que François, qui a choisi ce nom en l'honneur de saint François d'Assise, s'est présenté au monde entier. L'élection de l'Argentin Jorge Mario Bergoglio marque un tournant dans l'histoire de l'Église catholique, selon les vaticanistes. Mais ces considérations étaient encore loin dans l'esprit des 50 000 fidèles en liesse sur la place Saint-Pierre, hier soir.

La première surprise des milliers de pèlerins réunis sous la pluie à Rome a été de voir un panache blanc s'échapper du toit de la chapelle Sixtine, vers 19h10 (heure de Rome). Personne ne s'attendait à un dénouement aussi rapide. Un tonnerre de cris de joie a alors traversé la place Saint-Pierre aussi rapidement que l'éclair.

La foule est ensuite demeurée interdite en apprenant le nom du cardinal élu après seulement cinq votes. «Bergoglio...?» Des séminaristes, des touristes et des badauds se sont interrogés du regard quelques instants. Même s'il avait été rival du cardinal Joseph Ratzinger au conclave de 2005, le nom de Jorge Mario Bergoglio, archevêque de Buenos Aires, était absent des listes de papabili en raison de son âge vénérable - 76 ans.

L'air légèrement intimidé, le Saint-Père s'est avancé sur le balcon central de la basilique Saint-Pierre et a salué les fidèles d'un «bonsoir!» Ils ont répondu en scandant son nom en italien: «Francesco! Francesco!» Une centaine de cardinaux, tous vêtus de rouge, s'étaient massés sur les balcons latéraux.

Le Chilien Jose Ayerza, étudiant à la prêtrise à Rome, était impressionné de voir un Sud-Américain porter la soutane blanche. «Le pape Jean-Paul II a déjà dit que l'Amérique du Sud est le continent de l'espoir. Je pense que c'est ce que cet homme peut apporter au monde entier», a-t-il dit, les yeux brillants levés vers le balcon.

Fraternité

«Vous savez tous que le devoir du conclave était de donner un évêque à Rome, a d'abord dit, en italien, le premier pape non européen en 1200 ans. Il semble que les frères cardinaux sont allés presque jusqu'au bout du monde pour le trouver.»

La fraternité humaine a été la clef de voûte de son discours simple et très court. «Faisons chemin ensemble... Un chemin de fraternité, d'amour, de confiance mutuelle. Prions pour le monde, pour qu'il y ait une grande fraternité», a-t-il déclaré.

Un silence de cathédrale est tombé sur la marée humaine lorsque le premier Saint-Père jésuite de l'histoire a demandé aux pèlerins de prier pour lui. Puis il est parti comme il est arrivé: sur une note hésitante, mais familière. «Nous nous reverrons bientôt... Bonne nuit et bon repos!»

Promesse de changement

Le choix d'un pape sud-américain reconnu pour sa lutte contre la pauvreté signale un nouveau départ pour le Saint-Siège, selon les experts du Vatican. «Cela démontre une volonté de l'Église de retrouver son authenticité, a affirmé Frédéric Mounier, de La Croix, en entrevue téléphonique. De plus, les jésuites réfléchissent davantage que les autres congrégations à son avenir.»

Le choix du nom de François, en l'honneur de saint François d'Assise, un des saints les plus vénérés du monde chrétien, est révolutionnaire, selon John Allen, vaticaniste au National Catholic Reporter. «Ce nom symbolise la pauvreté, l'humilité, la simplicité et la reconstruction de l'Église. Le nouveau pape envoie le message que les choses ne seront plus comme avant», a-t-il expliqué à CNN.

Son âge avancé pourrait-il devenir source de problème? «C'est en effet un grand point d'interrogation, a indiqué Frédéric Mounier. Nous en aurons une meilleure idée bientôt.»

L'état de santé du nouveau pape ne préoccupait guère des Argentins qui se réjouissaient après la cérémonie. «Il fait plus jeune parce qu'il est très actif», a affirmé Dolores, mère de famille argentine de 44 ans, qui a refusé de donner son patronyme.

«Je tremble encore d'émotion, a dit Jose Ayerza, qui a fait coïncider ses vacances familiales avec le conclave. Comme cardinal, il vivait comme un pauvre, il se déplaçait en autobus à Buenos Aires.»

Tout près, un groupe de jeunes femmes scandait «Argentina!» devant les caméras. «Nous sommes si fiers, a indiqué Victoria Hernandez, 22 ans. Bergoglio est quelqu'un d'intègre, d'honnête. Je pense qu'il apportera une dose de réalisme au Vatican.»