La scène est surréaliste. La Lamottoise Marthe Béliveau, 81 ans, est dans la cuisine de sa vieille maison et accorde une entrevue au journaliste de The Asahi Shimbun, un des plus importants quotidiens japonais, dont le tirage est de huit millions d'exemplaires.

Le reporter Daisuke Nakai pose ses questions en japonais, et elles sont traduites par un interprète embauché à Montréal. «Que pensez-vous du cardinal Ouellet? Des positions de l'Église envers les femmes?», demande-t-il à la menue dame, installée avec son mari à La Motte depuis 48 ans. Ils y ont élevé huit enfants.

Des symboles religieux et des statues de la Vierge ornent chaque pièce de la maison - sans oublier une photo du cardinal Ouellet dans sa chambre. Tombée dans l'eau bénite à sa naissance, Mme Béliveau suit le conclave avec l'enthousiasme d'un partisan du Canadien pendant les séries éliminatoires.

Paroissienne active, elle aide le curé à préparer les messes bimensuelles. Elle a également dirigé la chorale pendant 20 ans. «On vit des émotions, beaucoup d'émotions. On aimerait beaucoup que notre cardinal soit élu!», lance-t-elle avec aplomb. Ses convictions l'ont emmenée à côtoyer plusieurs fois l'homme d'Église. Leurs deux familles sont aussi solidement enracinées dans l'histoire du village. «C'est un homme de coeur, de foi. Il est comme nous autres!», souligne Mme Béliveau.

Plusieurs Lamottois entretiennent d'ailleurs le même discours sur la simplicité du cardinal. Dans sa maison, à l'autre bout du village, Réjean Rose se souvient de sa dernière rencontre avec le cardinal. Il tentait de peine et de misère de dégager des cochons qui bloquaient la route lorsque le cardinal s'est arrêté en voiture. «Il a baissé sa vitre électrique pour me proposer son aide», raconte M. Rose, propriétaire avec sa femme de la ferme maraîchère biologique Point de rosée.

Le cultivateur apporte parfois des paniers de ses légumes à la mère du cardinal, qui est sa voisine. «M. Ouellet est venu nous remercier l'an dernier. Il a béni la ferme», raconte le cultivateur, qui badine en ajoutant que ses légumes sont depuis ce temps arrosés à l'eau bénite. Lui et sa femme Johanne Morin se considèrent comme croyants, mais pas au point de fréquenter l'église, dont la salle de spectacle attire davantage de fidèles.

Marthe Béliveau témoigne aussi du manque de ferveur religieuse, malgré l'aura du cardinal. «La religion a pris une débarque partout», résume-t-elle. Elle dit par ailleurs souhaiter un peu plus de vie à La Motte. Mme Béliveau serait servie si elle allait faire un tour au village, où les médias ont poursuivi hier leur siège de l'église, convertie en salle de presse et en cantine pour la durée du conclave. Des représentantes de l'agence de tourisme abitibienne étaient sur place pour guider les journalistes vers des attraits de la région, histoire de meubler le temps en attendant la fumée blanche.