Du rang 3 de La Motte à l'Université pontificale à Rome, en passant par les bidonvilles de Colombie, trois journalistes de La Presse ont suivi les traces de Marc Ouellet. Qui est au juste ce Québécois qui pourrait devenir pape? Et pourquoi est-il resté toute sa vie un gardien farouche de l'orthodoxie catholique?

BIDONVILLE D'ESTRADA, COLOMBIE

Quand il allait la voir, il demandait toujours aux policiers qui l'escortaient de s'arrêter au bout de la rue. Il tenait à continuer seul dans le labyrinthe de sentiers, qui serpentait entre les bicoques à flanc de montagne du bidonville d'Estrada. La femme qu'il venait voir était clouée au lit en permanence, ses membres délicats tordus par l'arthrite rhumatoïde grave. Il venait la visiter une fois par mois.

Il a fini par quitter la Colombie. Ses visites sont devenues plus rares. Deux fois par an, il lui envoie encore de l'argent pour qu'elle puisse payer ses visites chez le médecin. Luz Marina Beltram voue une reconnaissance éternelle à celui qu'elle appelle Padre Marcos. «Sa spiritualité et sa bonté n'ont pas de limites, dit Luz Marina Beltram d'une toute petite voix. Il nous a enseigné comment vivre, à ma famille et à tout le quartier.»

Marc Ouellet a fait sa première visite à Luz Marina Beltram en 1985. Il avait été envoyé par ses supérieurs sulpiciens diriger le séminaire de Manizales, une petite ville de Colombie. Avec une mission: faire le ménage dans une église colombienne contaminée par les idées marxistes.

Car à l'époque, ces pauvres qui croupissaient dans des bidonvilles étaient au coeur d'un combat idéologique au sein de l'Église colombienne. À l'image du prêtre-guérillero Camilo Torres, mort sous les balles à la fin des années 60, les tenants de la théologie de la libération revisitaient les Évangiles à la sauce Karl Marx et voulaient placer la lutte contre la pauvreté et l'impérialisme au coeur du mandat de l'Église.

«Quand Mgr Ouellet est devenu recteur du séminaire, certains professeurs trouvaient que les séminaires étaient une chose du passé», raconte Mgr Lionel Gendron, évêque de Longueuil et grand ami du cardinal. «La discorde qu'il a trouvée au séminaire l'a beaucoup fait souffrir», ajoute Ruben Dario, qui était professeur au séminaire de Manizales à l'époque.

Mais la branche conservatrice de l'Église colombienne a mené une lutte farouche contre ces idées marxisantes. Les sulpiciens, qui formaient les jeunes prêtres dans les séminaires, ont été l'un des principaux instruments de la mise au pas des tenants de la théologie de la libération par les conservateurs de l'Église colombienne.

Les sulpiciens, dont faisait partie Marc Ouellet.

À son arrivée, le nouveau recteur de Manizales s'est mis à l'ouvrage, écartant tous ceux qui s'éloignaient du dogme catholique. «Je me souviens d'une fois où il a fallu expulser des séminaristes qui ne faisaient pas l'affaire. Padre Marcos a prié toute la nuit à genoux devant son lit. Mais le matin, il était aussi enthousiaste qu'à l'habitude dans ses cours de théologie», se souvient Ruben Dario.

Cette Église colombienne, qui a combattu la société moderne plutôt que de s'en accommoder comme au Québec, a profondément marqué Marc Ouellet, estime Humberto Gonzales Franco, qui l'a connu au séminaire de Manizales et travaille avec lui depuis 2006 au Conseil pontifical pour l'Amérique latine, à Rome. «Il a appris chez nous qu'il est possible pour l'Église de rester une lumière pour la société, qu'il n'est pas nécessaire d'accepter le relativisme moral et l'individualisme et de renoncer à la vérité.»

Avec ces prêtres colombiens chaleureux, qui aimaient se retrouver le soir pour chanter, Marc Ouellet a retrouvé l'atmosphère familiale qu'il avait quittée très jeune. Le recteur déplorait souvent le déclin de la foi au Québec. «Il nous mettait en garde contre la déchristianisation au Québec, raconte José Miguel Gomez Rodriguez, l'évêque du diocèse de Libano-Honda. Il nous disait qu'il fallait rester ferme dans notre spiritualité.»

Cette expérience colombienne trempe donc sa foi en l'Église dans l'acier. Mais Marc Ouellet n'oubliera pas les pauvres. Dans le bidonville d'Estrada, il a contribué à la construction d'une église. Il visite régulièrement les sans-abri à Rome. Grand théoricien, il a d'ailleurs fait le pont entre le magistère et la théologie de la libération avec la théologie de la rédemption: pour lui, c'est le Christ qui s'incarne dans ces pauvres qui souffrent.

***

PHOTO MARTHA ELENA MONROY, COLLABORATION SPÉCIALE

Deux fois par an, Luz Marina Beltram reçoit encore de l'argent de celui qu'elle appelle Padre Marcos pour qu'elle puisse payer ses visites chez le médecin.

PATINOIRE DU VILLAGE, LA MOTTE

La pauvreté, Marc Ouellet sait très bien ce que c'est. Sa famille, huit frères et soeurs qui ont grandi en Abititi, était loin d'être riche. Né en 1944, le jeune Ouellet est le portrait de son grand-père paternel: un costaud, qui a fait partie des premiers colons du petit village de La Motte. Un défricheur, donc, mais aussi un intellectuel.

Devenu vieux, il a habité jusqu'à sa mort chez son fils, le père de Marc Ouellet. Il avait sa chambre et surtout, sa bibliothèque, dans la minuscule maison des Ouellet. Le lien entre le grand-père et le petit-fils a toujours été très étroit.

«Grand-papa avait toujours des paparmanes dans son tiroir de gauche. Il en donnait souvent à Marc. Moi, pour en avoir, il fallait que je coure deux fois plus vite», se souvient le frère aîné du cardinal, Louis Ouellet. Ce grand-père paternel, sévère et pieux, ainsi que sa bibliothèque imposante auront une influence énorme sur le futur homme d'Église.

Enfant, Marc Ouellet n'était pourtant pas une grenouille de bénitier. «On ne le retrouvait pas à genoux dans les coins avec des images de la Sainte Vierge, rigole son frère cadet, Roch. Il n'était pas plus religieux que le reste de la famille.» Les Ouellet avaient acheté leur banc à l'église Saint-Luc, comme toutes les familles de La Motte. Mais le petit Marc était bien plus sportif que pieux. Il nageait, il pêchait, il chassait.

«On avait construit un campe dans le bois, se souvient son frère Louis. On avait abattu nous-mêmes les arbres à la hache. On a passé un été à faire ça.» Marc Ouellet était, et est toujours, un excellent nageur. «On devait avoir 

13 ou 14 ans. On s'était dit: on nage jusqu'à l'île Laurette. Moi, j'ai abandonné après le tiers du chemin. Tous les autres aussi. Le seul qui s'est rendu à l'île et qui est revenu, c'est Marc», raconte Louis Ouellet.

Mais la grande passion des jeunes de la famille Ouellet, c'était le hockey. «Marc était la vedette de notre équipe», raconte son jeune frère Roch. Un jour, La Motte joue contre le village voisin de Cadillac. Il y a une faille profonde dans la glace. Le patin de Marc s'y enfonce. Jambe cassée. Une rebouteuse locale lui fabrique des éclisses, mais il est immobilisé pendant plusieurs semaines.

C'est à ce moment que s'effectue le grand plongeon dans la bibliothèque de son grand-père. Il y lit saint François de Sales et sainte Thérèse de Lisieux. «Sa vocation s'est précisée. C'est devenu clair pour lui. Cet épisode, ç'a été en quelque sorte le point de non-retour», explique Louis Ouellet.

Son grand-père est mort quelques mois à peine avant cet accident de hockey. «Le jour de sa mort, il s'était habillé, il avait mis son chapelet. Il n'était pas question pour lui de mourir en pyjama dans un lit. Il est mort assis dans sa chaise. Ça montre l'obstination de cet homme, jusque dans la mort», raconte Louis Ouellet.

Le jeune Marc avait accompagné le vieil homme dans ses derniers instants. «J'ai été témoin de son dernier souffle», raconte-t-il à Pierre Maisonneuve dans le livre Le journaliste et le cardinal. Quelques mois après ce décès, il prend sa décision: il va devenir prêtre.

Mais son père n'est pas de cet avis. Il fait valoir à Marc qu'en sa qualité de troisième enfant de la famille, il pourrait travailler pour aider ses parents à payer les études des cinq frères et soeurs qui le suivent. Pour la première fois de sa vie, le jeune Ouellet décide d'obéir «à Dieu plutôt qu'aux hommes». Il a une rencontre décisive avec son père et lui annonce que sa décision est irrévocable: il sera prêtre. «Mon père a été obligé d'admettre que c'est ce qui allait se passer», se souvient son frère Louis.

Il entre donc au Grand Séminaire de Montréal, en 1964, juste avant le concile Vatican II, qui sonne le départ de la prêtrise pour des centaines de ministres du Christ. Après un an au Grand Séminaire, à la suite d'une nuit de prière, il demande la tonsure, le premier rite officiel des novices. «Ç'a été le plus grand acte de liberté de ma vie. À 20 ans, je savais que j'étais en train de définir toute mon existence», dit-il à Pierre Maisonneuve.

Après avoir été ordonné, il fera un très court séjour en paroisse, comme vicaire à l'église Saint-Sauveur. Sylvie Riopel, 56 ans, était à l'époque une jeune paroissienne. «Mon Dieu qu'on le trouvait beau! C'était tellement rare, un jeune curé: ils étaient tous vieux!»

Nous sommes en 1968, au moment où partout, sur la planète, la contre-culture déconstruit les valeurs prônées par l'Église catholique. Mais rien ne fera déroger le jeune Marc de la voie qu'il a choisie, celle de l'obéissance à l'Église. Il la suivra sans faillir toute sa vie, malgré les flots de hargne qu'il soulèvera lors de son passage controversé à l'archevêché de Québec, de 2003 à 2010.

***

Photo Ivanoh Demers, La Presse

À 14 ans, Marc Ouellet joue au hockey avec ses frères. Il est partisan des Bruins de Boston.

INSTITUT JEAN-PAUL II, ROME

Marc Ouellet est, d'abord et avant tout, un théologien. Dans la fleur de l'âge, à 30 ans, il retourne à Rome faire un doctorat en théologie. «Des années de désert, dit-il à Pierre Maisonneuve. À un âge où on a toute l'énergie nécessaire pour vivre dans l'action, j'ai dû m'enfermer entre quatre murs...»

Et quels murs! Il choisit la branche la plus hermétique de la théologie, la dogmatique. Son sujet d'étude: l'anthropologie théologique, soit la conception de l'être humain selon la révélation chrétienne.

«Le mystère de la Sainte Trinité, lui, il va te décortiquer ça! C'est un bollé, ce gars-là, un grand savant», dit 

Mgr Gilles Lemay, évêque d'Amos, qui l'a côtoyé à l'archevêché de Québec.

Au cours de ces quatre années, il découvre un personnage qui aura pour lui une influence fondatrice: le théologien suisse Hans Urs Von Balthasar. Aussi, il dévore les écrits d'une mystique suisse, qui a travaillé avec Von Balthasar, Adrienne Von Speyr, qui avait des visions et faisait des prophéties.

Vingt ans plus tard, il est nommé à l'Institut Jean-Paul II pour la famille, qui fait partie de l'Université pontificale du Latran, à un jet de pierre du Colisée. À la suite d'un discours prononcé à Washington en 1995, le pape le remarque. Il le nomme évêque en 2001.

Il est totalement pris de court par cette offre, racontent ses amis de toujours, Yvan et Claudette Boucher. «Il a toujours été surpris, toutes les fois où on l'a nommé.»

Après une retraite fermée, il dit oui à Jean-Paul II. Et puis, il rappelle ses amis, un peu inquiet. Il devait s'acheter de nombreuses soutanes d'évêque et n'avait pas assez d'argent. «On s'est cotisés, raconte Claudette Boucher en riant. Il les a eues, ses robes d'évêque!» Comme évêque salarié, il vit pour la première fois de sa vie en appartement. Il a 57 ans.

Il s'élèvera progressivement dans le monde fermé de la Curie romaine. Ses lumières théologiques sont souvent sollicitées. «Il passait souvent ses nuits à écrire des discours pour les cardinaux de la Curie. Il n'en parlait jamais, par discrétion. Il ne veut jamais attirer l'attention sur ses qualités», raconte Peter Casarella, théologien de l'Université  DePaul, à Chicago.

Après son séjour à l'archevêché de Québec, il revient à Rome. Il dirige, depuis 2010, la Congrégation pour les évêques, un des départements les plus importants du Vatican. «Il est l'une des quatre personnes qui rencontrent le pape chaque semaine», explique Georges Wiegel, spécialiste américain du Vatican.

En 2012, le pape l'envoie à Dublin demander pardon en son nom aux milliers de victimes de prêtres pédophiles. Le scandale est tel, en Irlande, que le pays a fermé son ambassade au Vatican. C'est à cette occasion que Mark Vincent Healy, agressé par deux prêtres de 9 ans à 12 ans, rencontre le cardinal Ouellet. Le légat papal le rencontre en privé, à l'hôtel Burlington.

«Nous avons eu une conversation franche pendant une heure», raconte-t-il dans un entretien avec La Presse. L'homme s'est senti écouté, compris. Mais une réaction du cardinal l'a interloqué. «Lorsque j'ai évoqué la mort spirituelle dont souffrent les survivants, il a frappé le bras du fauteuil et s'est exclamé: "C'est ce que j'ai toujours dit! La dimension spirituelle de ces crimes est la plus abominable!" J'ai été étonné de voir cet homme calme s'emporter ainsi.»

Le prélat lui a, par la suite, fait parvenir une lettre, la concluant par trois mots qui sont devenus le slogan de sa campagne pour un programme d'aide aux victimes des prêtres. «Il m'a dit que les victimes méritent toujours d'être traitées avec dignité, justice et compassion, dit M. Healy. Pour moi, s'il devient pape, ce sera une bouffée d'air frais.»

Curieusement, lorsque Mgr Ouellet présentera le même genre d'acte de contrition aux victimes québécoises des prêtres, ses excuses seront accueillies avec une tonne de briques. Comme le seront d'ailleurs toutes ses déclarations dans sa province natale.

***

Photo Massimo Sambucetti, AP

En 2003, avec le pape Jean-Paul II, qui l'a élevé à l'épiscopat, puis au cardinalat.

CHAPELLE SAINT-JOSEPH, QUÉBEC

Quand Jean-Paul II nomme ce théologien de haut vol archevêque de Québec, un coup de tonnerre retentit dans sa vie. Depuis 30 ans, Marc Ouellet vit dans le monde des idées. Il n'a jamais géré une paroisse. Il aurait de loin préféré poursuivre son oeuvre à Rome.

«Je suis venu dans l'obéissance parce que ce choix n'était pas le mien», dit-il.

L'obéissance, encore. Vu du Vatican, le Québec post-Révolution tranquille n'a pas su résister aux idées modernes. «On trouvait que l'Église du Québec n'avait pas assez combattu la déconfessionnalisation des institutions catholiques», explique Marc Pelchat, qui était recteur de la faculté de théologie de l'Université Laval lors du passage de Marc Ouellet à l'archevêché de Québec. «C'est ce que Ouellet est venu faire ici, se battre pour l'identité chrétienne.»

Pour Mgr Ouellet, le respect de la hiérarchie est un élément-clé de la cohésion de l'Église. «L'évêque écoute ses prêtres, mais ces derniers doivent accepter ses décisions», explique l'abbé Jean Tailleur, chancelier du diocèse. Ce message d'obéissance a été très mal reçu à Québec.

«C'est un carriériste qui dit ce que Rome veut entendre», tranche un prêtre ayant requis l'anonymat. «Il écoutait, il écoutait, mais il ne tenait pas compte de ce qu'on disait», affirme Pierre Gastonguay, un prêtre de l'Ancienne-Lorette. Et après les réunions où il était critiqué, «il nous faisait une petite braillette».

Les larmes, donc, ou la colère. Au conseil presbytéral, qui rassemble des prêtres du diocèse, il sort parfois de ses gonds quand ces derniers continuent à remettre en question des points de doctrine qu'il a expliqués en long et en large. «Il se disait: je vais leur expliquer, ils vont comprendre. Mais ça ne marche pas comme ça ici!», dit Pierre Gastonguay.

«Les prêtres baby-boomers sont encore en crise d'adolescence, ils ne veulent pas accepter l'autorité», rétorque soeur Doris Lamontagne, qui a travaillé avec le cardinal pour organiser le Congrès eucharistique de 2008.

Le premier affrontement de l'archevêque avec ses prêtres arrive tout de suite après son arrivée à Québec. Il leur annonce qu'en conformité avec les récents édits papaux, l'absolution collective, tolérée depuis des années, sera abolie. Monseigneur veut un retour aux confessionnaux. Il dépense 27 000$ - l'équivalent de six mois de quêtes dominicales, calcule Le Soleil - pour construire un lieu de rencontre entièrement vitré dans la chapelle Saint-Joseph de la basilique de Québec. Un «confessionnal de verre», ironisent ses détracteurs.

«Il y avait beaucoup de monde aux cérémonies d'absolution collective», dit l'abbé Gastonguay. «Ils ne sont plus revenus pour le sacrement de la réconciliation individuel, parce que ça leur rappelle de mauvais souvenirs: le temps où les curés reprochaient aux femmes de ne pas avoir assez d'enfants.»

Le sacrement avait perdu son essence, pense André Belzile, un laïc qui a beaucoup fait de travail de pastorale avec Mgr Ouellet : « Dans certaines paroisses, on distribuait des formulaires « cochez votre péché ». Le cardinal aurait pu moins brusquer les gens, se servir des séances d'absolution collective pour expliquer le changement. Mais il avait raison. »

Enseignement religieux, communion des divorcés remariés, état moral du Québec: dans les années qui suivent, l'archevêque collectionne les déclarations-chocs sur toutes les tribunes qu'on lui offre. Lorsqu'il déclare que l'avortement est un crime même en cas de viol, la quasi-totalité des politiciens canadiens le désavoue.

À la lecture des articles et des éditoriaux, l'archevêque est parfois sonné, raconte Mgr Gilles Lemay, qui était à l'époque évêque auxiliaire à Québec. «C'est un grand émotif, raconte-t-il. Je l'ai vu en souffrance après des articles agressifs. Ça l'atteignait. Mais il rebondissait.»

Alors qu'il projette une image de froideur extrême, même ses opposants sont impressionnés par sa chaleur en privé. « Il se souvenait des noms de tout le monde, dit un prêtre critique. Quand il venait pour une confirmation dans ma paroisse, on lui servait un petit gin et il se dégênait. »

Mais du même souffle, voyant que les prêtres de son diocèse ne partagent pas sa conception de la mission de l'Église, Mgr Ouellet y invite des groupes évangélisateurs, créant dans la capitale «une double Église», dit Marc Pelchat. Il autorise un mouvement catholique à fonder un deuxième séminaire à Québec, sans en informer le recteur du séminaire déjà existant. Il autorise aussi un groupe catholique ontarien, dont les membres s'inscrivent comme étudiants à l'université, à évangéliser leurs camarades de classe, sans avertir le service de pastorale de l'Université Laval.

«Les prêtres plus âgés ne se rendent pas compte combien il est souffrant pour les jeunes croyants d'être isolés dans le monde moderne», réplique l'abbé Tailleur. Ses grands rassemblements, ses processions du Saint-Sacrement dans les rues, et la réouverture du Petit séminaire diocésain, trois projets fortement critiqués, sont autant d'efforts pour briser cet isolement, croit-il.

«On a été trop radical dans l'évaluation de Mgr Ouellet, dit son prédécesseur à l'archevêché, Mgr Maurice Couture. L'ajustement n'a pas toujours été facile pour lui. Et en plus, certains prêtres diocésains ont beaucoup réagi à sa venue. Ils ont exagéré le constat de changement qu'il représentait.»

***

Photo Raynald Lavoie, Le Soleil

Le confessionnal vitré dans la chapelle Saint-Joseph de la basilique de Québec.

ÉGLISE SAINT-LUC, LA MOTTE

Depuis 50 ans, les paysages de La Motte sont immuables. Mais une chose a changé dans le petit village de 439 âmes: la place de la religion. Marc Ouellet a assisté à ses premiers offices religieux à l'église Saint-Luc, au centre du village. En 2001, le diocèse d'Amos annonce aux habitants de La Motte que leur église ne tient plus le coup. Des rénovations majeures s'imposent et le diocèse n'a pas d'argent. L'église sera vendue ou démolie.

Les Lamottois retroussent leurs manches et rachètent leur église pour un dollar. L'église Saint-Luc devient le centre communautaire du village. «Ç'a été un choc pour Marc, raconte son frère Roch, qui a été au coeur de l'entreprise de reconversion. Il avait peur que ça vire en n'importe quoi. Je lui ai promis que ça allait demeurer un lieu pour le culte.»

Il ne reste de l'église originale que le choeur, pudiquement masqué par un grand rideau doré. «Quand il y a un office, des funérailles, un baptême, on ouvre le rideau et on dispose les chaises», explique Rachel Cossette, directrice générale de la municipalité. Pour que l'espace puisse se transformer en salle de spectacle ou en piste de danse, il a fallu sacrifier les bancs. Sur les boiseries de bois marron, on distingue encore la trace sombre de ces bancs d'église où prenaient place les familles nombreuses du Québec catholique d'antan. Signe des temps, un bar a pris la place d'un des confessionnaux.

«Il n'y a pas de danseuses dans cette église, mais à part ça, tout est permis, lance Roch Ouellet. On n'a pas scrappé l'église de Marc, on l'a sauvée!»

Pendant que le catholicisme s'étiolait au Québec, pendant que les bancs de l'église Saint-Luc se vendaient, l'étoile de Marc Ouellet brillait toujours plus fort à Rome. En lui accordant la pourpre cardinalice, le pape lui a assigné la paroisse Santa Maria in Traspontina, à Rome. Entre les murs de bois blanc de l'église de son enfance et les huit chapelles décorées de fresques et de moulures dorées de son église romaine, le contraste ne pourrait être plus total.

La voix étranglée par l'émotion, Louis Ouellet raconte son dimanche à Santa Maria in Traspontina. «Je l'ai écouté dire toute sa messe en italien. Un petit gars de l'Abitibi, né dans le rang 3 à La Motte. Il s'est rendu jusqu'à Rome, et il dit sa messe en italien. J'étais tellement ému.» En six jours à Rome, Louis Ouellet a réalisé que son frère était une vedette dans l'enceinte du Vatican. «Il ne passe pas incognito à Rome. Il a une aura, dont j'ai rapidement pris conscience.»

Sortira-t-on un jour les chaises dans le centre communautaire de La Motte pour une messe célébrée par un pape du cru? Les frères du cardinal Ouellet ne le souhaitent pas. «Pape? Ça me ferait peur. On perdrait un frère, dit Roch Ouellet. Je ne pense pas que Marc veuille devenir pape. C'est un sacrifice total. Une job de fou!»

Photo Ivanoh Demers, La Presse

L'église du petit village de La Motte en Abitibi.