Nous allons continuer à espionner: après avoir annoncé vendredi une réforme limitée des opérations de surveillance, le président américain Barack Obama a enfoncé le clou samedi dans une interview à une télévision d'Allemagne, où les révélations sur des écoutes font scandale depuis des mois.

Tout juste a-t-il concédé à l'égard d'Angela Merkel que ces activités seraient telles qu'elles n'affecteraient pas leurs relations, alors qu'un portable de la chancelière aurait été écouté par la NSA selon Edward Snowden, l'ancien consultant de cette agence de renseignement qui distille depuis l'été des documents.

«Tant que je suis président des États-Unis, la chancelière allemande n'aura pas à s'inquiéter», a dit M. Obama dans cette interview à la chaîne publique ZDF enregistrée vendredi à Washington et diffusée samedi soir. Il insiste sur la relation «d'amitié et de confiance» qu'entretiennent les deux pays.

Le portable de la chancelière elle-même sera peut-être épargné, mais de manière générale, il n'est aucunement question de renoncer à des pratiques qui servent «nos objectifs diplomatiques et politiques», a précisé le président américain «Nos agences de renseignement, comme les agences allemandes et toutes les autres, vont continuer à s'intéresser aux intentions des gouvernements de par le monde, cela ne va pas changer», a-t-il dit.

Les Allemands sceptiques

Une affirmation en droite ligne avec les annonces faites vendredi à Washington. Le président a promis une réforme de la collecte des données téléphoniques, et de ne plus espionner les dirigeants des pays étrangers.

Comme à Bruxelles, où l'Union européenne «attend de voir se concrétiser» les engagements américains, le discours de M. Obama a reçu un accueil réservé en Allemagne, pays dont la relation traditionnellement très forte avec le partenaire américain a été profondément déstabilisée par les révélations de M. Snowden.

Le président de la commission des Affaires étrangères du  Bundestag (chambre basse du Parlement), Norbert Röttgen, issu du parti conservateur CDU de la chancelière, a estimé que les annonces de M. Obama étaient «techniques» et ne répondaient «malheureusement pas au véritable problème», parlant dans les colonnes du quotidien Tagesspiegel samedi d'une «divergence transatlantique» dans la pondération de liberté et sécurité.

Plus que d'autres Européens peut-être les Allemands sont très pointilleux sur le respect de la vie privée et des données personnelles, marqués par l'expérience du Troisième Reich puis de la dictature communiste dans l'ancienne RDA.

Berlin veut un accord de non-espionnage

La confiance de l'Allemagne dans son partenaire américain ne sera restaurée que «quand nous aurons signé un accord qui protège de manière juridiquement contraignante les données de tous les citoyens», a déclaré, pour sa part, au journal Bild am Sonntag à paraître dimanche le ministre de la Justice, le social-démocrate Heiko Maas.

Au-delà d'ajustements à la marge sur les méthodes de travail de la NSA, Berlin voudrait conclure un accord de non-espionnage («no-spy agreement») avec les Américains, une revendication à laquelle Washington fait la sourde oreille.

Et M. Obama a expliqué à ZDF pourquoi: «Ce n'est pas la peine d'avoir un service de renseignement s'il se limite à (collecter) ce qu'on peut lire dans le (quotidien américain) New York Times ou dans (le magazine allemand) Der Spiegel. La vérité c'est que par définition le travail du renseignement est de découvrir: que pensent les gens? que font-ils?».

Le président américain est attendu à Bruxelles le 26 mars, une visite qui sera l'occasion pour lui d'exposer ses positions de vive voix à ses partenaires européens. «La confiance dans l'utilisation des flux de données par les États-Unis a été ébranlée par les révélations sur les programmes d'espionnage et a besoin d'être rétablie», a expliqué vendredi la Commission européenne.