Le scandale de l'espionnage américain a continué à s'étendre vendredi et poussé les dirigeants européens, pour la plupart indignés, à demander à Washington de s'engager sur «un code de bonne conduite».

De leur côté, l'Allemagne et le Brésil travaillent à la préparation d'une résolution à l'ONU sur la protection des libertés individuelles dans le contexte des révélations sur le programme d'espionnage international des États-Unis, ont annoncé vendredi des diplomates onusiens.

Après la France et l'Allemagne, l'Espagne a annoncé vendredi la convocation de l'ambassadeur américain à Madrid pour lui demander des explications.

Cette décision du premier ministre Mariano Rajoy fait suite à de nouvelles révélations de la presse indiquant que l'Agence nationale de sécurité américaine (NSA) aurait espionné des membres du gouvernement espagnol, dont son prédécesseur José Luis Zapatero.

Un total de 35 dirigeants de la planète, dont la chancelière allemande Angela Merkel, auraient été écoutés, a affirmé jeudi le quotidien britannique The Guardian.

Coïncidence ou pas, le site internet de la NSA est resté inaccessible plusieurs heures vendredi, alimentant les rumeurs sur une attaque informatique, démenties par un porte-parole qui a parlé d'erreur technique interne au cours d'une mise à jour.

Les services secrets américains ont par ailleurs été soupçonnés par la France d'être à l'origine d'une attaque informatique ayant visé en mai 2012 la présidence française, a dévoilé vendredi le quotidien français Le Monde.

Ces révélations qui se succèdent depuis juin «ont créé des tensions considérables dans nos relations avec certains de nos partenaires étrangers les plus proches», a admis Lisa Monaco, la conseillère de Barack Obama pour la sécurité intérieure.

Mais, au-delà des protestations, les chefs d'État et de gouvernement de l'UE réunis à Bruxelles n'ont pris aucune mesure de rétorsion envers les États-Unis.

«Il ne s'agit pas de commencer à faire monter la pression inutilement» avec Washington, a déclaré le premier ministre belge, Elio Di Rupo, en résumant l'état d'esprit général.

Les 28 ont donc affiché une unité de façade pour «prendre note» de l'initiative lancée par la France et l'Allemagne pour «engager des discussions bilatérales avec les États-Unis dans le but de trouver d'ici à la fin de l'année un accord sur leurs relations mutuelles dans ce domaine», selon le communiqué du sommet.

«Nous allons essayer d'avoir un code de bonne conduite avec les États-Unis, sur ce qui est acceptable et sur ce qui ne l'est pas», a précisé le premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker.

Dans leur texte commun, les Européens reconnaissent que «la collecte de renseignements constitue un élément essentiel de la lutte contre le terrorisme», la justification sans cesse mise en avant par Washington. Mais «un manque de confiance pourrait porter préjudice à la nécessaire coopération» dans ce domaine, préviennent-ils.

«Tout le monde peut comprendre que l'on prenne des mesures exceptionnelles tant les menaces terroristes sont importantes (...) mais nous ne sommes pas dans une situation où l'un doit espionner l'autre», a souligné M. Di Rupo.

Le président français François Hollande a pour sa part relevé qu'«on ne contrôle pas les portables des personnes que l'on rencontre dans les sommets internationaux».

Le dilemme des Européens

Le chef du gouvernement finlandais, Jyrki Katainen, a résumé le dilemme des Européens: «nous devons à la fois préserver la relation transatlantique et affirmer que cela (l'espionnage) n'est pas acceptable».

Ils se sont ainsi refusés à envisager une éventuelle suspension des négociations de libre-échange qui viennent d'être lancées entre les deux blocs.

Plusieurs pays, comme la Grande-Bretagne ou l'Espagne, ont également décidé de ne pas froisser Washington en adhérant à l'initiative franco-allemande. L'Espagne reste un «partenaire et allié» des États-Unis, a affirmé M. Rajoy.

Pour sa part, le premier ministre britannique David Cameron a refusé de commenter le scandale, insistant plutôt sur le fait que les questions de renseignement relevaient des compétences nationales et «non de l'UE».

La difficulté à faire front commun à 28 dans ce dossier est illustrée par le blocage, depuis des mois, d'un projet de la Commission européenne visant à renforcer la protection des données privées face aux géants de l'internet et aux services de renseignement.

Alors que la commissaire européenne à la Justice, Viviane Reding, appelait à «passer aux actes» et adopter la réforme «d'ici au printemps 2014», les 28 ont décidé de «se donner une marge de manoeuvre» jusqu'en 2015.

Le leader des socialistes au Parlement européen, l'Allemand Hannes Swoboda, a vigoureusement critiqué l'attitude des dirigeants de l'UE. Ces derniers «semblent uniquement préoccupés par les écoutes inacceptables de leur téléphone portable, laissant de côté la protection des données des 500 millions de citoyens européens», a-t-il dénoncé.

Hors Europe, le ministre mexicain des Affaires étrangères, José Antonio Meade, a convoqué jeudi pour la deuxième fois en deux mois l'ambassadeur des États-Unis à Mexico, Anthony Wayne «pour discuter du thème de l'espionnage supposé» de l'ex-président mexicain Felipe Calderon (2006-2012) et de l'actuel, Enrique Peña Nieto, a indiqué à l'AFP une source du ministère des Affaires étrangères.

De son côté, l'ex-numéro 2 de la CIA, Michael Morell, a jugé dans un entretien que les fuites dues à l'ex-consultant de la NSA Edward Snowden étaient «les plus graves» de l'histoire du renseignement américain».